Quelles impressions me laissera 2022 ? La musique prend sans doute une place toujours aussi importante dans ma vie, mais d'une manière différente. Mes rapports avec elle-s sont toujours intenses, mais dans une forme apaisée, tranquille et de plus en plus secrète, intime.
Voici quelques disques confidentiels ou non, simples ou doubles, particulièrement choyés par votre serviteur cette année. Pas d'ordre, pas de hiérarchie, je n'en serais pas capable, et ça ne m'amuse plus des masses.
King Hannah - I'm not sorry I was just being me
Kendrick Lamar - Mr Morale and the bigsteppers
Beach House - Once, twice melody
And so i watch you from afar - Jettison
'T Geruis - Slow dance on moss beds
Trupa Trupa - Bflat A
Empath - Visitor
Dälek - Precipice
Placebo - Never let me go
Johnny Marr - Fever dreams Part I-IV
Sparks - Annette Motion picture soundtrack
Cola - Deep in view
Pet fox - A face in your life
Angel Olsen - Big time
Panda Bear - Reset
Teen suicide - Honeybee table at butterfly feast
Built to spill - When the winds forget your name
And you will know us by the trail of dead - IX : Bleed here now
J'ai vu des jeunes ridiculiser des réactionnaires, en piratant intelligemment le système.
J'ai vu la gauche gagner, sous d'autres latitudes, contre le fascisme.
J'ai lu des dizaines d'articles en écriture inclusive, et - oui – ça change tout, c'est comme si je n'avais lu que d'un oeil toutes ces années.
J'ai vu un groupe tirer sa révérence de la plus belle des façons.
J'ai vu Neo se réveiller à nouveau.
J'ai vu les quatre meilleures potes du monde répéter pendant près de huit heures et c'était beau, drôle, bouleversant, essentiel, génial.
J'ai vu Stephen Curry shooter un 2974e panier à 3 points.
J'ai vu mes enfants grandir, et c'est magnifique.
Et j'ai écouté pas mal de disques.
Top ten, forcément subjectif, de ceux qui m'ont plus marqué que les autres.
10. Volcano Park – Meat Wave
Ce n'est qu'un EP, mais quel EP... Une tension énorme, servie par des riffs au cordeau, et une écriture parfaite.
9. The Ultra vivid lament – Manic Street Preachers
J'ai toujours eu une profonde tendresse pour les Manic, je ne manque jamais une sortie mais sans pour autant écouter avec application chaque album. Le dernier est une belle surprise, et c'est sur le site The quietus qu'on en parle le mieux : "What the Manics have to offer is ultimately their own confusion. But that might be the only honest response to bewildering times. The Ultra Vivid Lament is an album which doesn't always know what it's saying. But it's saying it with an uncommon beauty." Simon Price
paroles : I've burned so many bridges but not the one that leads to you.
8. Puritan – Chris Brokaw
Inusable compagnon du début d'année, Puritan est un très grand disque car il arrive à évoquer les meilleurs (Sonic Youth, Elliott Smith sur The Bragging rights – et personne avant Brokaw n'avait pu me faire penser à Elliott) tout en gardant sa propre signature.
Paroles : The night has no eyes, and i could be whatever you need.
7. Music for psychedelic therapy – Jon Hopkins
Pourquoi un tel disque ? J'entends déjà les cyniques de tous poils la ramener. Papier peint sonore, musique tout juste bonne pour passer en fond chez Nature et découverte. Le bien nommé Music for psychedelic therapy me touche parce qu'échappant à toute logique, sa force réside dans son calme absolu, et que sa beauté est clairement au service d'une thérapie. Ce disque vous veut du bien.
6. King's disease II – Nas
Nas m'a toujours impressionné. Sur King's disease II, il se renouvelle tout en réussissant à évoquer la période sacrée d'Illmatic, par touches délicates et pourtant puissantes par leur pouvoir d'évocation. Le temps qui file, la sagesse acquise par la mémoire... Cet album, sans être nostalgique (c'est définitivement un album de son temps) a la puissance d'un trip à Memory Lane.
Paroles : How can you expect to get love if you don't show none ?
It's like takin' your first swim, like still being a virgin.
5. Echo – Indigo Sparke
Une voix hors du commun, un jeu de guitare élégant, un disque profondément intime. Une merveille hantée.
paroles :
Everything, everything
Everything is dying
Everyone, everyone
Everyone is dying
Everything is simple
4. Talk memory - Badbadnotgood
Album magnifique, clips parfaits...
3. Between the richness – Fiddlehead
Du tata-poum inespéré.
Paroles : I carry your heart, everywhere you go, I go.
2. Le dernier album – Mendelson
Cet album m'a bouleversé. L'ami Max en parle bien mieux que je ne saurais le faire ici.
paroles : il faudrait reporter ici toutes les paroles du disque tant tout se tient, mais citons tout de même :
Algérie, je vais parler doucement/ Dans le monde entier c'est la cacophonie.
Les photos au mur sont tellement pâles qu'elles ne sont plus jaunies.
Un pays sans chanteurs est un pays malade.
On a appris ensemble à être humains.
1. Movements – Floating Points – Pharoah Sanders and the London symphony orchestra
Longue suite constituée de neuf mouvements, cet album a pour colonne vertébrale un arpège délicat, onirique, doux, sans âge, pur, qui va se répéter tout du long et sur lequel les trois entités (Floating points, le saxophoniste Pharoah Sanders et le London symphony orchestra) vont venir se greffer dans une harmonie parfaite. On passe par de nombreux états à l'écoute de cet album, qui évoque pêle-mêle, le jazz et New-York, Arvo Part, par infimes touches électro le dernier Pink Floyd. Le voyage est magnifique, intense et inoubliable.
Obsessions récurrentes :
James Ellroy, Cormac Mc Carthy, Patrick Modiano, JRR Tolkien, The Beatles, Townes Van Zandt.
La semaine dernière, Jason Pierce, alias J. Spaceman, aux commandes du navire amiral Spiritualized depuis plus de trois décennies, sortait, contre toute attente, le single Always together with you, accompagné d'un clip dont je reparlerai plus bas. Contre toute attente, vraiment : Pierce déclarait, en 2018, lors de la sortie de l'album And nothing hurt, que composer, enregistrer et produire des albums l'épuisaient, laissant entendre que la tâche lui paraissait de plus en plus ardue, la montagne trop haute et que se replonger dans une énième bataille serait désormais au-dessus de ses forces. Le démiurge paraissait exsangue, vidé et les derniers sons du dernier album - un code en morse - semblait être un adieu, mélancolique, las, désabusé, envoyé du fond de la galaxie, ultime bouteille à la mer.
J'en ai été peiné, bien-sûr, mais l’œuvre de Pierce étant monumentale, je savais qu'elle représenterait toujours pour moi des odyssées stellaires à portée de mains, quand le besoin de s'échapper se ferait impérieux. Je savais que régulièrement je prendrais ma dose, drogue douce aux effets secondaires merveilleux (mélancolie, euphorie, flottement, entre autres). Tout de même, imaginer qu'il n'y aurait plus jamais de nouvel album, plus jamais cette musique unique, mélange subtil de nombreuses influences, blues, gospel, psychédélisme, pop, parfois free-jazz...) était douloureux.
Alors, quand, trop excité par ce retour inespéré, j'ai lancé le clip, sans avoir écouté le morceau, ce que je ne fais jamais, tout m'est revenu, intact : pourquoi mon fils est né sur Spiritualized, pourquoi Spiritualized a résonné à mon mariage, et pourquoi, trente secondes à peine après le début du single, mes yeux s'embuaient.
Pierce fait partie de ces artistes obsessionnels, monomaniaques qui, toute leur vie, n'ont de cesse de creuser un même sillon, inlassablement, changeant tout pour que rien ne change. Artisan de l'espace, faisant de ses faiblesses des forces. Pierce : " Going around in circles is important to me. Not like you’re spiraling out of control but you’re going around and around and on each revolution you hold onto the good each time. Sure, you get mistakes as well, but you hold on to some of those too and that’s how you kind of... achieve. Well, you get there. Tel l'artisan remettant sans cesse son métier sur l'ouvrage, parce qu'il n'y a rien d'autre qu'il sache faire, parce qu'il le faut, malgré les inévitables doutes qui peuvent l'envahir et qu'il doit à chaque fois terrasser. Pierce, encore : "There’s a line from Jonathan Meades that’s about having all the attributes to being an artist. ‘Paranoia, vanity, selfishness, egotism, sycophancy, resentment, moral nullity and more idiot than idiot savant.’ “And that's what it feels like, this kind of thing. You’re your own worst enemy and biggest supporter. “There's a ‘Of course this is worth it. It's me’ and then this kind of deep doubt of ‘What the fuck is this all about?’ “And then ‘Why is it important?’ and then knowing there's no easy answer. But it's there. I know it's there"
Entrer dans un disque de Spiritualized, c'est invariablement être saisi par des évidences : génie du songwriting, génie des arrangements, génie de la production, obsession de la symétrie, volonté indéfectible de tirer de la simplicité même (quelques accords) tous les possibles mélodiques, de révéler avec une science inouïe de l'espace et des tessitures toutes les richesses harmoniques contenues dans le moindre segment musical, avec foi, ambition, et panache, même lorsque la fatigue au fil des albums gagnait du terrain, consumait la voix, teintait les mélodies de noir, ou de bleu nuit.
Entrer dans un disque de Spiritualized, c'est pénétrer le cerveau de Pierce, et y découvrir, dans ses mélodies, une âme d'enfant, dans son ambition démesurée (les productions sont énormes, convoquant chœurs gospel, orchestre, explosion bruitiste poussant le curseur free jazz à son maximum) une âme torturée, dans sa douceur aux limites du renoncement neurasthénique, ses désillusions, et dans ses paroles, un romantisme exacerbé, accompagné de l'inévitable culpabilité dévorante qui en découle. Complexe, donc, le bonhomme. Apatride, car relié à trop de villes, trop de paysages, trop de mondes, du gospel des églises américaines aux cuivres de la Nouvelle-Orléans, du blues sudiste à la pop anglaise, Pierce ne pouvait qu'investir l'espace, jusqu'à se renommer Spaceman, pour pouvoir englober toutes ces influences qui se bousculaient dans sa tête, tempêtes cosmiques qu'il apprit à maîtriser et à transformer en morceaux déchirants, irrésistibles, véritable médecine pour l'âme - il ira jusqu'à sortir le chef-d’œuvre Ladies and gentlemen we are floating in space sous forme de boîte de médicaments, avec posologie...
Entrer dans un disque de Spiritualized, c'est savoir que rapidement, le son vous enveloppera, vous fera échapper à la pesanteur, vous fera planer, pas un hasard si le dernier clip se termine dans le cockpit d'un avion au décollage. C'est surtout retrouver, d'albums en albums, un langage musical toujours identique et pourtant sans cesse renouvelé. Au fil des années, Pierce a laissé la mélancolie prendre le dessus, sans pour autant revenir sur terre, et s'y laisser piéger. Chaque nouveau morceau vu comme une lutte pour faire advenir la lumière, une fois de plus, pour conjurer le sort, pour rallumer son âme (Baby set my soul on fire), pour absoudre les péchés (Jesus won't you be my radio ?), pour dire que quelques notes contiennent un monde, et qu'une coda, forcément exaltée, à chanter éternellement sera toujours, toujours, le meilleur remède.
Le clip du morceau montre toute la beauté fragile du monde, en un habile montage d'images, mais barrées d'une boîte de médicaments. Lorsque la boîte s'efface, le morceau est reprogrammé, comme souvent chez Spiritualized, et les mélodies se superposent, le son s'étoffe, prend un volume dément, et tout l'art de Pierce se déploie, et le monde apparaît dans toute sa noirceur sur les images alors que la musique est, elle, un sommet d'espoir. Pierce semble avoir encore besoin de pilules pour tenir le coup, visiblement. Mais ce nouveau single, si caractéristique de son art, laisse hébété, euphorique, comme il y a vint-cinq ans et que je découvrais Spiritualized pour la première fois.
J. Spaceman : artisan de l'espace, assurément, chimiste précis, propulseur d'émotions pures et cathartiques, navigateur interstellaire qui semble avoir retrouvé une seconde jeunesse : merci.
D'après le dictionnaire Larousse : Au figuré, littéraire. Prise de conscience soudaine et lumineuse de la nature profonde de. : Les épiphanies de la musique, de l'amitié.
Hier j'ai écouté et regardé, par hasard, la version live de Distant sky que Nick Cave a trouvé la force d'écrire après la mort d'un de ses fils. Bouleversant dans sa version studio, le morceau va au-delà, lorsqu'il est joué sur scène et réchauffé par la communion païenne qu'il déclenche. La chanteuse Else Torp - présence rare et précieuse - habite comme nulle autre les mots déchirants de Nick Cave. Et le violon de Warren Ellis n'en finit plus de pleurer et moi avec.
Oui, ça c'est une épiphanie...
Let us go now, my one true love Call the gasman, cut the power out We can set out, we can set out for the distant skies Watch the sun, watch it rising in your eyes
Let us go now, my darling companion Set out for the distant skies See the sun, see it rising See it rising, rising in your eyes
They told us our gods would outlive us They told us our dreams would outlive us They told us our gods would outlive us But they lied
Let us go now, my only companion Set out for the distant skies Soon the children will be rising, will be rising This is not for our eyes
Alors voilà où nous en sommes. Faire un bilan de cette année 2018 est au-dessus de mes forces.
Voilà néanmoins des disques aimés, voire plus, sortis cette année. Le plus important et fort à mes oreilles reste le premier, ensuite il n'y a aucun ordre.
La fidélité est toujours récompensée, mes amis de longue date comme Jason Pierce de Spiritualized, Yo la Tengo et Chan Marschall de Cat Power ont sorti probablement leurs plus beaux disques, qui sont comme des relectures parfaites de leur œuvre, comme des acceptations de ce qui fait leur art, leur essence, comme si, apaisés, ils nous offraient ce qu'ils savent faire de mieux. Ce sont des cadeaux inestimables, parce qu'ils m'ont rappelé pourquoi je les admire, pourquoi ils sont essentiels.
Et puis il y a eu ce Tunnel végétal, dont toutes les paroles - connues par cœur - sont d'une poésie sans égale, un disque chanté en français et quel français. Un disque baigné par l'onirisme qui fait tellement cruellement défaut à notre époque. J'ai bien souvent plongé dans ce tunnel végétal, lieu de passage, lieu flou où les époques se mélangent, où le cru côtoie le sublime, où le cru est sublime, où les souvenirs renaissent, où l'on sait pleurer ses morts, et posséder des corps. Aujourd'hui ton corps et demain le monde.
Un mot encore, pour Norman Would, mon ami Romain, auteur d'un album sublime. Je pourrais balancer des références, mais ça ne sert à rien, il est au-dessus. Son disque est une merveille.
Voici donc la liste :
Thousand – Le tunnel végétal
Yo la tengo – There is a riot going on
Norman Would – Out of the blue
Spiritualized – And nothing hurt
Cat Power – Wanderer
Bob Dylan – More blood, More tracks – The Bootleg Series vol 14
John Coltrane – Both Directions at once
Jon Hopkins – Singularity
Mark Pritchard - The four worlds
Castlebeat – VHS
Cypress Hill – Elephants on acid
Camélia Jordana – Lost
Alain Bashung – En amont
Richard Ashcroft – Natural Rebel
Julia Holter – Aviary
Albert Hammond Jr – Francis Trouble
Damien Jurado – The Horizon just laughed
Johnny Marr – Call the comet
Kamasi Washington – Heaven and earth
Jorja Smith – Lost and found
Courtney Barnett – Tell me how you really feel
Stephen Malkmus and the Jicks – Sparkle Hard
Gaz Coombes – World's strongest man
Awon, Phonics – The Actual Proof
The Voidz – Virtue
American Pleasure club – A whole fucking lifetime of this
The Coral – Move trough the dawn
Papa M – A broke moon rises
Manic Street Preachers – Resistance is futile
The Messthetics – The Messthetics
Paroles de l'année :
parle-moi du moment où t'es plus rien
que de la lave et du sang qui coulent entre mes reins
My ego sang me lullabies and my conscience sang the blues.
Les mots pour posséder ton corps
la formule pour enfin pleurer ses morts
le passage pour glisser dans la nuit
des plus beaux jours de ta vie
Je ne vois pas d'autres solutions que de se noyer dans la musique, le cinéma et la lecture. Il n'y en a pas d'autres.
Côté musique, un best-of totalement subjectif avec toujours en tête de dériver, aux confins de l'inconscient, enveloppé dans des nappes électroniques, du shoegaze mais le regard planté dans les étoiles, histoire de faire taire le bruit nauséabond du dehors. Toujours plus d'onirisme, de jusqu'au boutisme, d'épique !
The Bride - Bat for Lashes
Under the sun – Mark Pritchard
Crippling Lack, Vol I-III – David Thomas Broughton
A moon shaped pool – Radiohead
Skeleton tree – Nick Cave and the Bad Seeds
Human condition – Bruxa Maria
IV – Badbadnotgood
Singing saw – Kevin Morby
Adore life – Savages
Neon Demon ost – Cliff Martinez
Toujours vivant - Renaud
Everything in between – Ugly Heroes
Palermo Hollywood – Benjamin Biolay
Modern Country – William Tyler
Skilled mechanics - Tricky
We got it from here, thank you 4 your service – A tribe called quest
City club – The Growlers
Hold/stills – Suuns
Give a glimpse of what yer not – Dinosaur jr
Jumping the shark – Alex Cameron
Le film - Katerine
Ruminations – Conor Orbest
Opération Aphrodite – Gérard Manset
Ghosts of no – Elysian Fields
It's the big joyous celebration, let's stir the honeypot – Teen Suicide
La musique de 2015 aura été aussi belle, intense, vivifiante, régénérante, pertinente et bouleversante que l'année tout court aura été mortifère, indigente intellectuellement et aura marqué un pas de plus vers la défaite totale de la pensée. Un président de gauche (sic) qui part en guerre et exhorte ses compatriotes à mettre le drapeau tricolore aux fenêtres, un Macron qui devient personnalité préférée des Français (mais lesquels ?), alors qu'il n'est qu'un petit con, inculte qui se tripatouille la nouille devant la photo de Thatcher... Ce salopard d'Estrosi qui fait son discours de président fraîchement élu en PACA derrière un pupitre estampillé "résistance" (sic)... La classe journalistique entière (ou presque) horrifiée devant une chemise arrachée... ils ont peur que la leur soit la prochaine... Et le FN à 6 millions... qui défend "les enfants de France morts au Bataclan"... Une journaliste (sic) Léa Salamé, incapable de répliquer devant un énième roquet de Les Républicains qui lui assène "trouvez-vous normal qu'il n'y ait pas de portique à l'entrée des salles de concert ? Moi, non." Bah si c'est normal ducon. Notez que quand on n'a pas de vrai journaliste en face de soi, on fait les questions et les réponses. Plus pratique. Des journalistes qui vont fouiller et te dire que le mec des Eagle of death metal était vilain quand même, républicain (Américain) et amateur d'armes à feu... On doit en conclure quoi ? que c'est bien fait pour lui ? On a entendu ça le 7 janvier... Mais par la voix d'autres... Pas de place pour l'humain chez les journaleux, tout doit être étiquettable, pas de place pour les paradoxes, les contradictions, pour les failles.
Heureusement les musiciens auront sauvé cette année. Leur art m'a rempli l'âme et le coeur. Alors un top 10, les amis. Et oui j'ai triché, y'a des disques de 2014 dans le lot.
1. Sufjan Stevens - Carrie and Lowell
Cet album m'a suivi quasiment toute l'année. Sufjan Stevens y chante avec la plus grande impudeur sa vie, la perte de sa mère et de son beau-père. Le résultat est bouleversant, et d'une pudeur incroyable (là, les journaleux sont perdus, y'a du paradoxe). La musique est faussement douce, elle vous saisit de la première à la dernière seconde. Touchée par la grâce. J'ai eu très vite l'assurance que ce disque était important, d'une importance capitale même, qu'il tiendrait une place centrale dans mon année et bien au-delà. Il m'a parlé comme seuls quelques disques peuvent le faire. Il m'a ramené à des endroits où seul Elliott Smith peut me ramener. Sa musique est hantée, Stevens est constamment en train de chercher ses fantômes du passé, souvent il abandonne la fin des morceaux aux limbes et c'est à la fois ce que j'ai entendu de plus beau depuis 10 ans mais aussi de plus terrifiant. Il y a évidemment de l'onirisme, et du mystique dans sa musique, I should have known better est quasi religieuse, avec ses choeurs magnifiques, et son architecture par strates. Sufjan a écrit un requiem pour nous, les paumés du XXI e siècle, pour magnifier ce qui doit l'être : les destins banals, les vies cabossées (sa mère était bipolaire). Sa musique aura été un refuge.
2 Kamasi Wshington - The Epic
Kamasi Washington a 35 ans. Il est saxophoniste et a enregistré cette année le bien nommé The Epic, un triple album de jazz. Ou plutôt une potion magique : une synthèse démente de soul, jazz, groove, bo de sf, free jazz... Une somme incroyable. Et totalement abordable, jamais hautain. Accessible sans être putassier. Ambitieux sans être vaniteux. Kamasi semble savoir tout faire mais surtout il a décidé de s'affranchir des limites. D'où les choeurs qui sonnent comme une bo de sf, d'où les groove urbains, d'où les pianos free jazz... Sa relecture du Clair de lune de Debussy est géniale : il emmène Debussy à la Nouvelle Orléans et comme c'est pas assez, il le propulse dans l'espace. Epique.
3. The Twilight Sad - Nobody wants to be here and nobody wants to leave
4. Susheela Raman - Queen Between
5. Mercury Rev - The light in you
6. Sleater Kinney - No cities to love
7. Woozy - Blistered
8. Ghostface Killah w Badbadnotgood - Sour soul
9. BBNG - III
10. Thousand - st
En vrac :
JSBX - Freedom tower, no wave dance party 2015,
Ghostface Killah - twelve reasons to die 2,
Hinds - Very best of so far,
Metz - II,
Mourn- st,
Beach house - Depression cherry,
Built to spill - Untethered moon,
The dead weather - Dodge and burn
Clean girls - despite you
All people - Learn forget repeat
Trust fund - no one is coming for us
Film de l'année
Star Wars VII The Force awakens.
Clip-hymne de l'année
Inheaven - Regeneration
Sing-along de l'année : No cities to love
Séries
Battlestar Galactica (oui j'ai 10 ans de retard)
The Wire
In treatment
Mention spéciale du jury
Gabriel Byrne dans In treatment.
Obsessions récurrentes :
Joy Division, Lou Reed, Blade Runner Original motion picture Soundtrack de Vangelis, The Beach Boys, Nick Drake, Elliott Smith, Miles Davis
Chaque fois qu'une lumière brûle deux fois plus, elle brille deux fois moins longtemps. Et vous avez brûlé on ne peut plus brillamment, Roy.
La première fois que j'ai vu Blade Runner de Ridley Scott, je suis totalement passé à côté. Je l'ai vu dans des conditions désastreuses, ce qui m'a rendu le film pénible, alors que ses qualités plastiques en font certainement un des plus grands films-visuels qui soient. l'aura de ce film a joué à plein et m'a fait y revenir, malgré moi, malgré cette première expérience foireuse. Le film grandissait en moi. Alors je l'ai revu, re-revu, et re-revu dans de bien meilleures conditions et en final cut. Depuis il n'a cessé de me fasciner. Chaque visionnage - dernier en date, hier - le rend plus grand, plus brillant.
Scott situe le film en 2019 à Los Angeles, et bien sûr il a eu tout faux dans sa vision du futur. Tout faux mais son film, tourné en 1982 n'a aucun équivalent visuel, et écrase encore maintenant, presque 40 ans après, n'importe quel film sur fond vert. Blade Runner est organique, c'est de la putain de pluie qui coule sur Harrison Ford tout du long, pas des pixels. Et puis, qu'est-ce que ça peut faire ? Scott avait sa vision du futur, elle est aussi terrifiante que visuellement magnifique et cohérente. Un cinéaste n'a pas à être nostradamus.
L'atmosphère du film est donc totalement unique, d'une densité hallucinante, d'une cohérence fascinante, ce qui en fait une œuvre d'art absolue, en quête d'absolu. Mais ce ne serait qu'une coquille vide sans les thèmes explorés.
Les Réplicants sont des sortes de robots, d’androïdes à l'apparence humaine qui servent d'esclaves ou de soldats ou de putes. Après une rébellion sur une colonie, ils sont pourchassés et tués par des Blade Runners. L'humanité, elle, est engluée : il semble qu'il ne fait jamais jour, et qu'il pleut tout le temps, les espèces animales ont disparu, ou presque, remplacées par des ersatz. Voilà pour l'histoire. De quoi les Réplicants sont-ils le nom ? "Plus humain que l'humain" dit Tyrell, concepteur-accoucheur des Réplicants. C'est peut-être ce savant fou à lunettes massives, isolé dans sa pyramide qui dit vrai. Quand on voit le vrai héros du film, Roy - et non Deckard-Ford - ça tombe sous le sens.Tyrell a une sorte de double dans le film, J F Sebastian avec qui il joue à distance aux échecs, et qui vit lui aussi retiré, mais dans un immeuble-taudis, immense, entouré d'automates, à l'allure humaine. Il s'est brûlé à la flamme du démiurge, et confesse à Pris une Réplicant, que ses automates sont juste son "violon d'Ingres". Il demande d'ailleurs à Roy et Pris "que savez-vous faire ?" comme s'ils n'étaient que deux vulgaires automates de plus. J F Sebastian n'a pas voulu passer de l'autre côté, n'a pas voulu devenir ce que Tyrell est devenu. Il n'a pas voulu endosser la responsabilité, la paternité des Réplicants. Il n'a pas voulu insuffler la vie et les promesses qu'elle contient pour les retirer si vite ou simplement s'en servir.
Chef des quelques Réplicants qui ont pu revenir sur Terre, Roy est accompagné de Leon, Zhora et Pris. Deckard se demande au début du film, quand il se voit assigner la mission de tuer les Réplicants, "pourquoi reviennent-ils ?" Roy revient sur Terre pour chercher son père (Tyrell, donc, de la Tyrell corp), revient sur Terre autant pour prouver son humanité que pour la chercher, la tester, revient sur Terre pour nous tendre un miroir et nous demander des comptes. Qui es-tu Toi qui m'a fait et me laisse mourir si vite (les Réplicants ont une durée de vie de 4 ans) ? Qui es-tu, toi qui me poursuis et veut m'éliminer ? Suis-je moins humain que toi ? L'acteur Rutger Hauer qui lui prête ses traits, lui donne une épaisseur fantastique. Roy est à mi-chemin entre le sur-homme et l'homme-enfant en quête de père, le froid calculateur et l'amoureux transi. Il semble vivre, ressentir, penser plus fort. Plus intensément, plus réellement. Son passé d'esclave, ce qu'il a vu "J'ai vu tant de choses que vous, humains, ne pourriez pas croire. De grands navires en feu surgissant de l'épaule d'Orion. J'ai vu des rayons fabuleux, des rayons C, briller dans l'ombre de la porte de Tannhäuser." la peur de sa fin qui approche, son instinct de survie, sa culpabilité, en font un personnage bouleversant, la clé de voûte du film. Celui par lequel on entre en empathie avec les autres Réplicants comme Rachel qui découvre sa vraie origine et doit y faire face. Les actes de Roy sont amplifiés, "plus humain que l'humain". Lorsqu'il aime, lorsqu'il tue, lorsqu'il se laisse envahir par l'empathie et laisse vivre Deckard. Il touche parce qu'il fait le chemin d'une vie en si peu de temps, avec un regard neuf et une insoumission merveilleuse et qu'il en sort vainqueur, débarassé même de sa peur. C'est peut-être ça le message du film, ne soyez pas esclave, ne vivez pas dans la peur.
Très belle année musicale pour le moment. A mi-parcours, déjà beaucoup de gros coups de coeur et deux immenses disques, celui de Kamasi washington, The Epic, un projet dingue, magnifique et Carrie and Lowell de Sufjan Stevens, un disque absolument somptueux, essentiel, un de ces disques que je garderai en moi quand tant d'autres se seront effacés.