27 avril 2009
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Quand j'étais gosse et que j'entendais les opéras qu'écoutaient mes parents, je les trouvais maniérés, longs, bref, insupportables. Ceux de Mozart avaient toujours un air ou deux fantastiques (et archi-connus), mais le reste me passait au-dessus, quant aux récitatifs... à écouter à la maison, sans livret sous la main, c'est assez pénible. J'ai donc tout naturellement laissé de côté cette musique, et ce pendant une bonne dizaine d'années. Et puis, le cinéma et notamment la trilogie du Parrain de Coppola m'a amené à avoir envie de m'y remettre. A force de lire que ces films fonctionnent comme des tragédies shakespeariennes, j'ai lu du Shakespeare, à force de lire qu'ils fonctionnent comme des opéras, je me suis mis à l'opéra. Merci Francis F. J'ai donc demandé à mon frère quel était son opéra favori, celui qu'il aimait le plus écouter, et jouer. Il m'a répondu sans la moindre hésitation : Madama Butterfly de Giacomo Puccini, en me prêtant la version dirigée par Lorin Maazel, avec Placido Domingo et surtout, surtout, Renata Scotto. Par la suite, je me suis acheté la version avec la Callas, qui est nettement moins bonne, pour finalement me faire offrir l'intégrale des opéras de Puccini, et enfin retrouver la version avec Scotto. Et voilà : la musique classique, c'est rapidement le calvaire : non seulement c'est un dédale fascinant d'oeuvres, d'époques, mais c'est encore un casse-tête : quelle version préférer ? Celle-ci surclasse-t-elle celle-là ? Jusqu'à preuve du contraire, il n'y a qu'une version de Sergent Pepper. Mais combien du Requiem de Mozart ? En écoutant d'abord la version de Butterfly de mon frère, puis ensuite celle avec la Callas, j'ai ressenti une succession de petites trahisons : de tempos différents, moins de grâce dans le chant, des choeurs moins aériens, j'étais agacé. Le plus incroyable étant que j'aurais découvert cet opéra en commençant par la Callas, je l'aurais trouvé tout aussi fantastique. J'imagine alors ce que j'aurais éprouvé en le rédécouvrant avec Renata Scotto, ça aurait été tellurique. Première leçon à méditer : toujours faire attention aux versions des oeuvres. Ce qui ajoute une difficulté supplémentaire à un autodidacte.
Je mets donc le disque et je me retrouve immédiatement propulsé dans un maëlstrom de cordes qui va crescendo. Bien joué Giacomo, pour capter l'attention, difficile de faire mieux. Et me voilà dans un Japon fantasmé, tant musicalement que culturellement. L'histoire est simple : Pinkerton, un militaire américain épouse Butterfly, puis s'en va, lui laissant un enfant. Elle l'attend, toujours amoureuse, mais lorsqu'il revient, le goujat s'est remarié. Butterfly, anéantie, se suicide. Rideau. Une bonne tragédie classique en somme, dans laquelle les sentiments sont exacerbés et la tension palpable. Les thèmes sont fabuleux, et les relectures que le compositeur en fait tout au long de l'opéra sont impressionnantes.
Aucun temps morts dans cette oeuvre traversée de thèmes tour à tour bouleversants (les deux arias de Butterfly, celui du deuxième acte, qui reprend plus douloureusement le plus connu du premier acte), astucieux (l'enchâssement de l'hymne américain, pour évoquer Pinkerton), puissants...
Je me replonge souvent dans cet opéra, même si ça prend du temps et demande de la concentration. Presque trois heures tout de même. Mais le jeu en vaut toujours la chandelle, car ça me fait le coup à chaque fois, les images se bousculent dans le cerveau, les poils se hérissent lorsque la tension éclate, et bien-sûr, chaque écoute me fait découvrir un passage qui m'avait échappé ou que je croyais connaître et qui se révèle sous un autre jour.
La force de cette oeuvre, qui me fait y revenir très régulièrement, se situe dans ce lyrisme qui n'a pas peur de basculer dans le grandiloquent, et qui n'y tombe bien sûr jamais. Puccini semble comprendre parfaitement les espoirs et la douleur de Butterfly quand il écrit sa partition. Et touche à l'essentiel, de sorte qu'on puisse ne rien connaître au livret et être submergé d'émotions à l'écoute des grands thèmes, qui trouvent une résonnance universelle. Madama Butterfly aura donc été ma porte d'entrée dans l'univers des opéras, Puccini en a écrit tellement, rien que lui, et de si bons, que je n'en ai quasiment écoutés que de lui. Et cela m'a aussi imposer une manière différente d'écouter de la musique, quand je mets Butterfly, je dois bien avouer qu'il est rare que je puisse l'écouter en entier, d'une seule traite. Drôle de monde, non ? On n'a même plus le temps d'écouter un opéra en entier, soit le téléphone sonne, soit il faut sortir pour chercher quelque chose, bref. Alors quand je sais que je pourrais aller au bout, ça signifie beaucoup et surtout quelque chose d'essentiel : une victoire sur le temps. Madama Butterfly est intemporel et nécessite du temps. L'expérience est physique autant que psychologique et la fin bouleversante vient porter un ultime coup laissant abasourdi, vidé, mais heureux d'avoir fait le voyage. Un voyage au long cours, nécessaire, traversé des notions les plus essentielles (la fidélité, la dignité, la filiation...), un voyage confisqué aux cadences infernales à l'oeuvre dans ce bas monde. J'espère pouvoir, de nombreuses fois encore, dérober trois heures pour sentir dans les moindres notes chantées par Butterfly, ses attentes, ses espoirs, et jusqu'au sabre qui lui ôte la vie, à la fin, car : "celle qui ne peut vivre dans l’honneur, meurt avec honneur".