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6 février 2008 3 06 /02 /février /2008 16:13

Quoi de mieux qu'un grand film pour fêter le centième post du blog ? Le premier était déjà consacré au cinéma, et c'était Les feux de la rampe, chef-d'oeuvre absolu de Chaplin. Pour cette centième, ce sera No country for old men des frères Coen. Deux films qui n'ont, a priori, rien en commun, mais qui partagent les mêmes exigences : ne pas prendre les gens pour des cons, ne pas céder aux sirènes de l'entertainment, être honnête, avoir un truc à faire passer, en fait. Quoi qu'il en soit, j'espère que j'arrive à donner envie d'aller voir ces films, d'écouter ces disques, et de lire ces livres dans ce blog...
...

Première immense claque cinématographique de l'année donc, grâce aux frères Coen. Après le très décevant Sean Penn, le Burton qui m'a laissé un peu sur ma faim, voici le retour au sommet de leur forme de la fratrie, pour leur film le plus noir depuis des lustres. Je dis "film" mais je ferais mieux d'écrire "ovni" tant ce No country for old men, adaptation du roman éponyme de Cormac Mc Carthy, est différent de ce que vous pourez voir ces temps-ci dans une salle obscure. Pas de musique, des plans très longs, une science de la mise en scène précise qui se borne à enregistrer avec acuité des détails insignifiants qui vous resteront imprimés dans la rétine pendant un bon bout de temps, quelques rares dialogues mémorables, et le tour est joué. L'histoire est simple : un type lambda tombe sur une mallette bourrée à craquer de bons vieux dollars, un tueur psychopathe se lance à sa poursuite, semant la mort derrière lui. Et ? Et c'est tout. Je n'ai pas lu le roman, mais après avoir vu cette adaptation, il est sur ma liste dans la catégorie "urgentissime".

No country est sans doute le film le moins ironique et drôle des Coen. Quand je pense que certaines affiches reprenaient les propos d'un journaleux qui le qualifiait d'"hilarant"... Non, au contraire, il laisse comme un goût de cendres dans la bouche. On se retrouve plongé dans une Amérique qui semble vidée, faite de motels miteux, de déserts de poussière, de pick up déglingués, de couples incapables de se parler, de shérifs impuissants et désabusés. Le mensonge, la trahison, la violence a impregné absolument tout et tout le monde. Alors, toujours aussi "hilarant" ? Pour ce film, j'ai eu l'impression qu'avec Javier Bardem, l'acteur qui joue le tueur, les Coen ont trouvé la perle rare, le type qui va donner son rythme et donner tout son sens, toute sa cohérence
à l'ensemble. Bardem y joue à la perfection un être pourvu d'une logique implacable, que rien ne peut arrêter, et qui semble totalement dépourvu des sentiments humains les plus basiques. En fait, il semble plus être un fantôme ou un ange de la mort, voire le mal incarné, ou la mort elle-même.

Ce personnage hante donc le film de sa présence malfaisante, et quiconque croise son regard est condamné à mourir, sauf à de rares exceptions - quand sa logique lui fait épargner quelqu'un. Autour de lui s'agitent des figures américaines que l'on a déjà croisées, chez les Coen et ailleurs : le type qui tombe sur la malette et se met à croire que sa vie va vraiment changer, le shérif (Tommy Lee Jones) las et dépassé par son époque, symbole d'un monde qui disparaît inexorablement, et des personnages féminins qui apportent la seule lumière du film. Autour de lui, tous ces personnages cherchent une quelconque explication à ce qui se passe, et se heurtent à une évidence : rien ne pourra arrêter le mal. Pas même le dialogue. C'est un des points forts du film : il y en a peu, mais ils sont des modèles d'écriture. La rhétorique du tueur est implacable, elle enferme, on ne peut pas en sortir. Certains dialogues m'ont fait penser à Kafka, en particulier celui avec le gérant de la station service. Ce passage m'a rappelé l'histoire du gardien dans Le Procès, un truc à vous rendre dingue, où tout ce que vous dites vous revient en pleine tronche.
J'ai mis l'extrait en question à la fin du post (désôlé je n'ai que la VO sous-titrée)

Mais les Coen, s'ils maîtrisent à la perfection les dialogues et leur rythme, excellent aussi dans la mise en scène. Avec ce film, c'est comme si on voyait les déserts américains pour la première fois, Sean Penn ferait bien d'y jeter un oeil, d'ailleurs.

Comme tous les grands films, No country ne peut être réduit à une seule catégorie et il autorise de multiples lectures : il est à la fois un road movie morbide, un film contemplatif, un film de serial killer, un western, une réflexion sur le mal qui contamine tout et qui a sa propre logique, et le témoin du passage à une ère brutale et incompréhensible.

No country est un film immense.



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