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8 septembre 2006 5 08 /09 /septembre /2006 22:17

Je n'ai presque pas de souvenirs de ma vie sans guitare. J'ai commencé tôt et puis tout a tendance à s'effacer au fur et à mesure. C'était le seul instrument à la maison, et il me plaisait d'instinct ; j'ai donc décidé d'en faire, bon an mal an. Depuis, rares sont les jours où je ne la touche pas, ne serait-ce que quelques minutes, ou même simplement, par habitude, je passe l'index de ma main droite sur les six cordes, lentement, si je n'ai pas le temps ou le courage d'affronter l'instrument.

Au début, c'était plutôt facile, naturel. Même si la guitare me paraissait démesurée (pourtant j'avais une 3/4, une guitare pour enfant) chaque nouveau cours, chaque nouvel exercice, chaque nouveau petit morceau me permettaient de progresser doucement, et surtout de m'habituer à l'instrument, de le faire mien, de m'en faire un compagnon. Assis bien droit, le pied gauche sur une sorte de trépied et la guitare posée sur ma cuisse gauche, j'ai ainsi joué pendant des heures des morceaux classiques, suis passé du buté au pincé et tout roulait.

Mais rapidement, des défauts sont apparus, le premier d'entre tous étant celui à ma main gauche qui accuse un foutu angle de 45 degrés avec le manche en direction des clés. Au lieu de 90. Bref, mon auriculaire doit faire des kilomètres avant de pouvoir se poser sur une corde. Et puis, j'ai dû louper un palier, manquer une marche. J'ai arrêté de progresser, puis arrêté les cours. Néanmoins je continuais à jouer, dans un groupe (feu The Angels, R.I.P.) puis dans un autre, Beside. Passer du classique au rock n'est pas évident. Tous les repères disparaissent. Au confort de la partition, et du morceau que l'on joue seul, se substituent l'inconfort de devoir jouer sans réellement s'entendre, et l'impression de ne pas être à la hauteur, de ne pas jouer ce qu'attendent les autres. Puis, petit à petit, j'ai perdu la notion de nuance - je crois bien qu'il m'est impossible maintenant de jouer plus fort la basse ou au contraire de faire sonner les aigus.

Inconsciemment ou non, j'ai fini par occulter certains réflexes acquis pendant mes cours pour en adopter d'autres, pas forcément bons mais qui sont miens. Et puis je n'ai jamais ressenti le besoin d'avoir un répertoire de reprises sous la main, ce qui fait que j'ai toujours l'air idiot quand on me demande ce que je sais jouer. Rien, je ne sais rien jouer. L'idée de pouvoir gâcher un morceau me répugne, à quoi bon s'évertuer à jouer une merveille pour finalement ruiner l'original ? Alors j'ai joué mes propres petits bouts, qui dans le meilleur des cas ont donné des morceaux. Evidemment, le fait de ne plus jouer devant des partitions, et d'essayer parfois en vain de trouver des idées a été - et l'est encore - frustrant et décourageant. Savoir qu'on fait du sur-place, l'entendre jour après jour, passer d'une heure et demie à vingt minutes, puis dix, puis cinq, puis l'index de la main droite sur les six cordes, tout ça, mes "bras connaissent", comme dirait Bashung. Il faut s'y faire. C'est le plus dur. Comme quand le guitariste Emmet Ray - pure invention de Woody Allen - se rend compte que Django est bien le meilleur, et qu'il tremble rien qu'à l'idée de le voir, et qu'il pleure dès qu'il l'entend jouer, et s'évanouit à sa rencontre. Ou comme quand Salieri comprend le génie de Mozart et se prend en plein visage sa propre médiocrité.

Désormais, je me contente de peu. Un nouvel accord, un joli riff, simple forcément - ma technique est trop limitée - et puis peut-être les bons jours une mélodie vient se poser dessus. L'énergie d'un groupe de rock fait le reste. Parfois les morceaux décollent, parfois non. Dans ses Chroniques, Bob Dylan explique qu'il faut toujours revenir à la source, aux bases, sans ça on se perd, on se fourvoie. Il a raison. Le plus dur est de faire simple, ou mieux, de faire ce qu'il faut au moment où il le faut.

Je ne sais pas si je comprendrai un jour cet instrument. Il me refuse le droit d'aller vite, de gronder ou d'être carressant, il m'interdit la plupart des styles, il se dérobe sans arrêt et se plaît à me décourager. Et pourtant il fait partie de ma vie, et il m'est impossible de m'en détacher. Alors un jour, peut-être, j'irai à la croisée des chemins, y négocier mon âme en échange de quelques tuyaus, ou bien je me ferai cramer quelques doigts dans une vieille roulotte, on ne sait jamais. Enfin, quoi qu'il arrive, je chercherai toujours.
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