28 décembre 2006
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Rapidement je pris conscience du nombre de kilomètres que j'allais me taper chaque jour, ce qui ne me posait aucun problème. Au début, tout valait mieux pour moi que charger les camions. Un diable dans les mains, j'allais tranquillement chercher les canapés, fauteuils et méridiennes qui attendaient gentiment sous une couche de poussière dans leurs casiers. Les journées étaient rythmées par les rencontres au beau milieu des allées, et il fallait déployer des trésors d'imagination pour trouver toujours un moyen de se saluer ou de se vanner différent, même si ça faisait quinze fois que vous croisiez le même gars dans la journée.
Les longues matinées et les longs après-midis défilaient, invariablement, avec leurs cortèges de camions, de blagues douteuses, d'histoires à dormir debout, et de légendes qui forgent une réputation - du genre : tel type se serait envoyé en l'air avec telle nana de la boîte, bien planqué dans un casier, ce qui est une manière comme une autre de tester la marchandise (je parle des canapés, pas de la donzelle). Mais mes souvenirs s'estompent avec le temps, je mélange les années, les matinées et les après-midis. Tout juste si je me souviens avoir commencé par un après-midi de juillet - et encore n'était-ce pas plutôt fin juin ? et de quelle année ? Sur les cinq étés passés là-bas, seuls restent les ambiances, les gens, des flashs - comme cette mini-tempête qui a soulevé et fait s'engouffrer sur les quais et dans les allées des nuages de poussière, nous obligeant à nous planquer pour attendre que ça passe - et certains repères temporels - parlez-moi de la canicule et me revoilà instantanément à préparer les commandes des couettes dans une mezzanine sous les tôles par plus de 50 degrés.
Plus précis sont mes souvenirs des types que j'ai croisés, chauffeurs, petits chefs, vieux de la vieille, nouveau-nés avec le lait qui leur coule des oreilles, Portugais, Malgaches, Turcs, Algériens, Marocains, une vraie tour de Babel cette usine. De quoi alimenter de nombreuses conversations pendant les pauses. Je me revois essayer de faire chanter à un ami Turc une chanson en français dont le nom m'échappe et apprendre en retour quelques politesses dans sa langue maternelle - j'ai oublié depuis mais fut un temps où j'aurais pu copieusement insulter un Turc en m'en prenant à sa mère (qui n'aurait pourtant rien demandé). Ce gars-là avait été taxi à Istanbul et avait pour principale distraction de rouler à 40 à l'heure dans une vieille merco le dimanche après-midi. Toujours survolté, de bonne humeur, il faisait résonner dans tout le bâtiment des "Monsieur le Directeur" puissants, moqueurs, et franchement marrants. Jamais l'expression "fort comme un turc" n'aura eu plus de pertinence qu'avec lui. Il en jouait d'ailleurs. Je crois me souvenir qu'il s'amusait à me porter comme un canapé. "Hey, chauffeur, il va où ce camion ? Marseille ? Hey Monsieur le Directeur, ça te va Marseille ? Je te charge avec les canaps ni vu ni connu" "Petit, tu sais ce qu'on dit ? Fort comme un turc !" Il remplissait les camions comme vous iriez pisser. Une simple formalité. Où en est-il maintenant ? Est-ce qu'il roule à 40 à l'heure à Istanbul, au volant d'un taxi ?
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Rapidement je pris conscience du nombre de kilomètres que j'allais me taper chaque jour, ce qui ne me posait aucun problème. Au début, tout valait mieux pour moi que charger les camions. Un diable dans les mains, j'allais tranquillement chercher les canapés, fauteuils et méridiennes qui attendaient gentiment sous une couche de poussière dans leurs casiers. Les journées étaient rythmées par les rencontres au beau milieu des allées, et il fallait déployer des trésors d'imagination pour trouver toujours un moyen de se saluer ou de se vanner différent, même si ça faisait quinze fois que vous croisiez le même gars dans la journée.
Les longues matinées et les longs après-midis défilaient, invariablement, avec leurs cortèges de camions, de blagues douteuses, d'histoires à dormir debout, et de légendes qui forgent une réputation - du genre : tel type se serait envoyé en l'air avec telle nana de la boîte, bien planqué dans un casier, ce qui est une manière comme une autre de tester la marchandise (je parle des canapés, pas de la donzelle). Mais mes souvenirs s'estompent avec le temps, je mélange les années, les matinées et les après-midis. Tout juste si je me souviens avoir commencé par un après-midi de juillet - et encore n'était-ce pas plutôt fin juin ? et de quelle année ? Sur les cinq étés passés là-bas, seuls restent les ambiances, les gens, des flashs - comme cette mini-tempête qui a soulevé et fait s'engouffrer sur les quais et dans les allées des nuages de poussière, nous obligeant à nous planquer pour attendre que ça passe - et certains repères temporels - parlez-moi de la canicule et me revoilà instantanément à préparer les commandes des couettes dans une mezzanine sous les tôles par plus de 50 degrés.
Plus précis sont mes souvenirs des types que j'ai croisés, chauffeurs, petits chefs, vieux de la vieille, nouveau-nés avec le lait qui leur coule des oreilles, Portugais, Malgaches, Turcs, Algériens, Marocains, une vraie tour de Babel cette usine. De quoi alimenter de nombreuses conversations pendant les pauses. Je me revois essayer de faire chanter à un ami Turc une chanson en français dont le nom m'échappe et apprendre en retour quelques politesses dans sa langue maternelle - j'ai oublié depuis mais fut un temps où j'aurais pu copieusement insulter un Turc en m'en prenant à sa mère (qui n'aurait pourtant rien demandé). Ce gars-là avait été taxi à Istanbul et avait pour principale distraction de rouler à 40 à l'heure dans une vieille merco le dimanche après-midi. Toujours survolté, de bonne humeur, il faisait résonner dans tout le bâtiment des "Monsieur le Directeur" puissants, moqueurs, et franchement marrants. Jamais l'expression "fort comme un turc" n'aura eu plus de pertinence qu'avec lui. Il en jouait d'ailleurs. Je crois me souvenir qu'il s'amusait à me porter comme un canapé. "Hey, chauffeur, il va où ce camion ? Marseille ? Hey Monsieur le Directeur, ça te va Marseille ? Je te charge avec les canaps ni vu ni connu" "Petit, tu sais ce qu'on dit ? Fort comme un turc !" Il remplissait les camions comme vous iriez pisser. Une simple formalité. Où en est-il maintenant ? Est-ce qu'il roule à 40 à l'heure à Istanbul, au volant d'un taxi ?
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