18 septembre 2006
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Cela faisait longtemps déjà que cette édition Quarto, rassemblant sept romans de Kerouac, ainsi que des articles et des lettres de l'écrivain, me faisait de l'oeil. D'abord dans les diverses librairies où je flânais (où je flâne toujours d'ailleurs) puis, une fois achetée, dans ma maigre - pour l'instant - bibliothèque. Les quelques 1500 pages du volume m'ont tenu à bonne distance de cette lecture pendant plusieurs mois - m'étant promis de me replonger dans l'oeuvre de Kerouac dès que j'aurais un peu plus de temps, puisque je voulais lire ce qui s'apparente à La légende de Duluoz d'une seule traite. Je dis "s'apparente" car il s'agit en fait de choix éditoriaux effectués par Gallimard. Ainsi, certains romans qui auraient pu être insérés dans La légende sont absents de ce Quarto. Néanmoins, la lecture de ce volume permet de mesurer l'importance du style de Kerouac et d'avoir une vue d'ensemble sur ce qu'est cette Légende de Duluoz.
Kerouac aura toujours eu pour ambition de créer une oeuvre cohérente, racontant son errance sur la route, et traçant le portrait de ses amis, et le moins qu'on puisse dire c'est que la lecture de ce Quarto laisse pantelant, une foule d'images en tête avec la sensation que l'ambition première de l'écrivain a été atteinte magistralement.
Des traversées des Etats-Unis en stop aux virées dans des bars au Mexique, en passant par la noirceur d'amours impossibles (relatées dans les magnifiques Tristessa, et Les souterrains), des nuits d'ivresse aux accès de mysticisme, des galères aux éternels retours, la vie de l'écrivain défile sous nos yeux à toute allure. Pour mieux repartir de plus belle dès que l'appel de la route est trop fort. La légende de Duluoz est une légende américaine, entière, parfois violente et désespérée, souvent éclairée par une volonté de vivre à fond, d'aimer et de goûter à tout, de rencontrer l'autre et de témoigner de sa vie le plus honnêtement possible. Beaucoup de personnages secondaires, croisés par Kerouac lors de ses traversées d'Est en Ouest, font l'objet de descriptions méticuleuses ou amusées, toujours respectueuses, et c'est un autre visage de l'Amérique qu'on découvre, un reflet plus souterrain. Difficile dès lors de ne pas évoquer Neal Cassady, ami de Kerouac et personnage central de Sur la route, roman le plus connu de l'écrivain.
La photo est saisissante - pour peu que l'on se soit immergé dans l'oeuvre de Kerouac. Neal Cassady et Jack Kerouac posant bras-dessus bras-dessous en 1952. On dirait deux frères. Et, de fait, Kerouac a probablement dû rêver Cassady en possible frère, lui qui restera à jamais marqué par la mort de son aîné Gérard, alors âgé de neuf ans et lui quatre. Neal Cassady synthétisera à lui seul cette génération qu'on a qualifiée de Beat, ces américains qui ont tenté de vivre autrement, différement de leurs contemporains. Personnage entier, fascinant, Neal Cassady rongera littéralement Kerouac, qui était prêt à le suivre n'importe où, tout en sachant que Cassady pouvait le laisser tomber à tout moment et surtout pas dans les meilleures conditions. La personnalité de ce type hors du commun a donné lieu à des pages à ranger parmi les plus importantes de la littérature américaine de la seconde moitié du 20è siècle. Certaines de ses lettres sont considérées comme des chef-d'oeuvres par Kerouac.
La quatrième de couverture de l'édition de poche de Sur la route reprenait un extrait du roman dans lequel Kerouac le décrivait ainsi : "Un gars de l'ouest, de la race solaire, tel était Dean. Ma tante avait beau me mettre en garde contre les histoires que j'aurais aveclui, j'allais entendre l'appel d'une vie neuve, voir un horizon neuf, me fier à tout ça en pleine jeunesse ; et si je devais avoir quelques ennuis, si même Dean devait ne plus me vouloir comme copain, et me laisser tomber, comme il le ferait plus tard, crevant de faim sur un trottoir ou sur un lit d'hôpital, qu'est-ce que cela pouvait me foutre ? J'étais un jeune écrivain et je me sentais des ailes. Quelque part sur le chemin je savais qu'il y aurait des filles, des visions, tout quoi ; quelque part sur le chemin on me tendrait la perle rare".
Qui était ce Dean ? Ce Kerouac allait-il dénicher la perle rare ? Je n'ai pas pu résister longtemps et j'ai dévoré Sur la route, à 200 à l'heure, pile au bon moment, à 16 ou 17 ans, pour répondre à ces questions et surtout pour savoir si toutes les promesses de ce court texte reproduit au dos du livre étaient tenues ou non. Depuis je l'ai lu et relu et j'ai dévoré de la même façon pas mal de ses textes. Je ne suis pas le seul à qui cette quatrième de couverture a changé la vie, alors si vous pensez qu'il existe une autre Amérique, ouvrez donc n'importe quel livre de Kerouac et laissez-vous embarquer. Qui sait, ça changera peut-être votre vie ?