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13 août 2014 3 13 /08 /août /2014 14:00

But you're in the wrong skin

and the skin that you're in

says "urgh let it begin"

Les Smiths et moi, c'est à la vie à la mort. J'ai dragué la mère de mes enfants en lui faisant écouter les Smiths. Et Johnny Marr est un guitariste fabuleux, d'une intelligence et d'une élégance... il aura défini le son des Smiths, et aura servi de la plus belle des manières les paroles de Morrissey en créant une musique riche, subtile, jamais anecdotique, toujours brillante, le tout sans solos qui tachent, avec discrétion et humilité alors même que c'est un immense musicien. Voilà, donc les Smiths c'est à la vie à la mort. Et la guitare de Marr aussi. 

Pour Morrissey, c'est plus compliqué, c'est pas à la vie à la mort. Morrissey me fascine bien-sûr, là où Marr me touche. Je préfère quand même être touché que fasciné, disons que je me vois plus boire une bière avec Johnny guitare qu'avec Morrissey. Mais tout de même : Vauxhall and I ça te pose un homme. Et puis You are the quarry... pas mal non plus. Et Ringleader of the tormentors... Morrissey aura réussi une belle carrière solo, alors qu'il aurait dû sombrer sans Johnny Marr, lui qui ne sait pas jouer d'un seul instrument de musique, qui se méfie de tout le monde, n'est pas capable de garder une maison de disque, un manager plus de deux secondes et est plus misanthrope que le dernier des misanthropes. Et pourtant, non. Tout a roulé pour Morrissey, aidé en cela par des milliers de dévots, assez inquiétants d'ailleurs, comme tous les dévots. Je ne suis évidemment pas de ces dévots. Je n'ai même pas tous les albums solos de Morrissey. J'avais zappé le dernier Years of refusal. Je ne sais même plus pourquoi. Et puis voilà que, cinq ans après, il est de retour avec World peace is none of your business, à ranger aux côtés de ses plus grandes réussites. 

Une réussite qui tient sans doute à la fidélité d'un groupe (Boz Boorer, avec qui il aura joué plus qu'avec Johnny Marr ; Jesse Tobias présent sur les 3 derniers albums) à l'endroit choisi pour enregistrer, le studio du sud de la France où Nick Cave avait enregistré son dernier et magnifique disque et à l'inspiration retrouvée pour ses musiciens. Chaque morceau de l'album est traversé d'instants de rupture somptueux, comme des éclats lumineux qui viennent distordre, reprogrammer les morceaux, ou en tout cas les déstabiliser. C'est la guitare flamenco de Neal Cassady drops dead, c'est la harpe de Kick the bride down the aisle , c'est l'accordéon de Earth is loneliest planet (quel titre !) ce sont les silences à chaque fin de couplet d'un de ses plus beaux morceaux Smiler with knife, c'est cet invraisemblable clavier à la fin de I'm not a man zébré par des cris hallucinants... Musicalement, c'est bien son album le plus abouti, le plus aventureux depuis... Vauxhall and i. Jesse Tobias est merveilleux, et fait littéralement pleurer sa guitare sur Smiler with knife. 

Question paroles, Morrissey est désormais capable d'investir une multitude de registres, du gribouillage enfantin "gaga in Malaga" aux allitérations plus fines dans la même chanson "ill in Seville, lonely in Barcelona", de la violence sèche, mordante, sans appel et très explicite rappelant les meilleures heures des Smiths "hoorray the bullfighter dies" "kick the bride down the aisle and treasure the day" à la misanthropie totale "there is no one upon this earth that i feel sad to leave", de la langueur métaphysique "you're that stretch of the beach, that the tide doesn't reach" au brûlot politique "each time you vote, you support the process". Bref, Morrissey a su enrichier sa palette et écrit toujours aussi bien. Ses thèmes de prédilection sont en revanche inchangés : le you sépare encore et toujours les bons, des mauvais : c'est au "you" en chacun de nous qu'il s'adresse, c'est souvent un peu facile et adolescent mais ça fonctionne toujours : "and there is always a reason why you are refused, they always blame you you YOU". Et puis bien sûr : la scolarité qui asservit alors qu'elle devrait libérer "Staircase at the university", les salopards qui ne sont pas végétariens (dont je suis...), les toréros (là d'accord, bien-sûr, d'autant qu'il le fait en 2 minutes et que c'est simple, direct, droit, et qu'il se salit les mains avec le sang de ce crétin de toréro, et qu'il pervertit le truc en l'humiliant en clamant que tout le monde veut que le taureau survive). Le pouvoir et son incurie. La solitude. 

Tout ça est franchement au-dessus du lot et son disque se hissera sans problème pour moi parmi les grandes réussites de cette année. Au détour de quelques phrases, Morrissey tutoie même le génie : "joy brings many things, it cannot bring you joy" habile ruban de möbius d'un parolier définitivement ailleurs. La joie ? On ne sent même plus son sourir cynique, dédaigneux, simplement un constat sans appel. Et que dire de "see in me, the side of you", ou Morrissey semble abandonner son légendaire narcissisme et accepter quelqu'un d'autre ? Fascinant, Morrissey, comme d'habitude... Sinon, Johnny, on se tape une bière ?

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