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8 février 2007 4 08 /02 /février /2007 15:39

 

"Et le printemps m'a apporté l'affreux rire de l'idiot."

Arthur Rimbaud. Une saison en enfer.

 

Kafka n'a pas franchement la réputation qu'il mérite. Les rares personnes à qui j'en ai parlé et qui l'ont lu (pour avoir été obligés de le faire au lycée) n'ont pas mesuré l'humour de cet auteur. En fait, on peut même dire qu'il les a copieusement fait chier. Pourtant, il suffit de lire L'Amérique, un roman inachevé, pour se rendre compte à quel point Kafka avait de l'humour. Attention, pas un humour à se tordre de rire, à se taper les mains sur les genoux, faut pas croire. Plutôt une sorte de rire diabolique, sadique, pervers mais qui finit invariablement par réellement me faire marrer. Comment ne pas rire en lisant les mésaventures de Joseph K. (qui partage bien plus que l'initiale de son nom avec l'auteur), pris au piège dans Le Procès ? Comment ne pas rire à le voir se battre comme un fou pour tenter de comprendre ce qui lui arrive ? Je dois avouer que la fin, surtout, m'a vraiment fait rire. Je devrais avoir honte, peut-être, ou me faire soigner car, nom d'un chien, il finit quand même égorgé comme une bête, dans un endroit sordide. Et pourtant, je n'ai pas pu retenir un rire, un peu malade, coupable, presque honteux. Finalement, ce Joseph K. finit par être tué, misérable petit être humain moyen, ni médiocre, ni génial. A cette petite chose, Kafka lui fait subir les pires supplices, sans pourtant avoir à toucher le moindre de ses cheveux (sauf à la fin bien entendu). Du sadisme pur et simple. Tout comme dans L'Amérique, d'ailleurs, dans lequel le jeune Karl Rossman n'a aucune prise sur son destin. Ses mésaventures sont désopilantes : il est ballotté par Kafka, qui le fait débarquer en Amérique, recueillir puis virer par son oncle, qui le jette sur les routes, seul. Ah on n'aimerait pas être à sa place ! Et pourtant qu'est-ce que je me marre ! Le voir subir les assauts sexuels d'une grosse en manque d'amour, c'est irrésisitible !


La Métamorphose, encore plus, me paraît un sommet d'humour noir. Gregor Samsa se réveille un matin transformé en cancrelat. Que faire ? Le pauvre est tellement pieds et poings liés à sa famille qu'il ne songe qu'à retourner au travail ! Cette nouvelle est d'une cruauté sans égale. La description de Gregor en cancrelat, avec ses petites pattes, à ramper misérablement, et la mère qui fait une crise de nerfs parce que son fils est un cancrelat, et le père qui le chasse à coups de canne dans sa chambre, ah tout ça est tellement drôle ! Pourquoi si peu de gens rient à la lecture de La Métamorphose ?


Finalement, le sadisme de Kafka est libérateur ; à chaque fois que je lis un de ses textes je me marre, je me dis que Joseph K. ou Gregor Samsa ou Karl Rossman c'est un peu nous, qui nous débattons pour pas grand chose. Que feriez-vous si demain matin vous vous réveilliez en cancrelat ? N'essayeriez-vous pas de joindre votre patron, d'expliquer que c'est momentané, que tout va rentrer dans l'ordre ? Et si une justice dont vous ignorez tout vous accuse sans prendre la peine de vous expliquer ce qu'elle vous reproche, jusqu'où ça vous mènerait les amis ? A toutes ces questions épineuses, Kafka répond, un sourire de possédé aux lèvres. Non, vraiment, il n'a pas la réputation qu'il mérite.

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1 février 2007 4 01 /02 /février /2007 14:15

De même que je me méfie des gens qui se disent passionnés de musique et qui n'aiment pas les Beatles (c'est juste une méfiance de principe, pas un avis définitif), je me méfie tout autant des gens qui viennent parler de cinéma en n'ayant que mépris pour La guerre des étoiles ou Rocky, par exemple - alors qu'ils sont prêts à vanter les mérites de Métropolis parce que ça fait classe de dire tout le bien qu'on pense d'un chef-d'oeuvre allemand des années 30, en oubliant que ce film préfigure tout ce qu'Hollywood a pu faire de bien ces 30 dernières années, La guerre des étoiles en tête. En d'autres termes, je me méfie de ces gens pour qui succès public rime avec navet intégral.

Et là, je dois faire mon mea culpa,  parce que cette manière de penser a été mienne pour ce qui est de Rocky et m'a tenu à bonne distance de la saga de Stallone pendant un bon moment. Je ne l'ai découverte que sur le tard, il y a deux ans. Avec un un pote, on avait décidé - d'abord pour blaguer -, de regarder les cinq films de la saga, nous attendant à voir des belles daubes. J'aurais dû me méfier de moi-même sur ce coup-là car, après tout, pourquoi Rocky serait forcément un mauvais film ? Les préjugés sont tenaces. Mais les miens n'ont pas tenu dix minutes devant les qualités du premier Rocky : intelligent, drôle, émouvant, c'est une belle peinture sociale, et une excellente histoire, presque un conte, en fait - le pauvre immigré italien qui finit par jouer le match de sa vie contre le champion du monde des poids lourds.

Mais, qu'en est-il de ce dernier volet ? Qu'on se le dise, l'heure est à la mélancolie pour l'étalon italien. Finis les égarements bodybuildés des derniers épisodes de la saga, et retour au source émouvant pour Stallone qui fait de nouveau déambuler son personnage à travers les rues de Philadelphie, à la recherche de fantômes (son épouse Adriaaaaaaaaaaaaaaan est morte et son quartier se meurt lentement mais sûrement lui aussi). Le film signe donc le retour en grâce de Stallone (succès critique et public) et nous replonge dans l'ambiance du premier volet de la saga des Rocky. Una furtiva lacrima de Donizetti (qui décidément est à la mode au cinéma en ce moment - le morceau est utilisé comme fil rouge par Woody Allen pour Match Point) - passe en boucle dans le restaurant de Rocky et imprime un rythme lent, quasi contemplatif. Rocky passe désormais son temps à regarder dans le rétroviseur. Avec sa gentillesse habituelle, il raconte sempiternellement ses histoires de combats aux clients de son restaurant qui ne demandent que ça. Ses après-midis, il les passe au cimetière devant la tombe de son épouse. Son fils ne vient plus le voir, et se sent écrasé par le nom qu'il porte. Alors, bien-sûr, il va de nouveau enfiler les gants, et de nouveau en outsider comme au début, et de nouveau contre un champion du monde - c'est le folklore de la saga, comme la montée des marches et l'entraînement. Mais Stallone revisite plutôt pas mal ces passages obligés. Le plus intéressant reste la première heure du film, qui donne l'impression de revoir de vieux potes. Enfin, pas tant que ça, puisqu'en fait il n'en reste qu'un : Paulie, toujours aussi minable et renfrogné.

Stallone/Rocky a donc tout du mythe américain :
le self-made man dont les américains sont friands. Indissociable du personnage qu'il a créé, Stallone s'est fait tout seul, a connu des très hauts et des très bas - il a enchaîné navets sur navets - et sa trajectoire est semblable à celle de son personnage. De la rue à la gloire, puis à l'échec et à l'oubli. Et puis, il y a cet énième retour, réussi cette fois, qui devrait être le dernier, promis. Et c'est vrai que ça serait pas mal de se quitter là-dessus.
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25 janvier 2007 4 25 /01 /janvier /2007 18:43

Fox Mulder est un de mes héros. Voilà c'est dit. J'ai donc pour héros un personnage fictif, qui n'a aucune vie sociale, est la risée de ses pairs - alors qu'il est, bien-sûr, le plus brillant -, dort sur un canapé dans son salon, a un humour pince-sans-rire fabuleux, un goût prononcé pour les graines de tournesol, une fâcheuse tendance à matter des pornos, un instinct dément et qui, pour couronner le tout, est obnubilé par une conspiration gouvernementale ayant pour but de cacher la vérité au monde entier sur l'existence des extra-terrestres. Et, non, je ne me soigne pas.

Au contraire, même. J'ai eu la bonne idée de me faire offrir par mon frère la première saison d'X-Files en dvd, mettant ainsi le doigt dans l'engrenage : regarder dans l'ordre l'intégralité des neuf saisons de la série. Je suis actuellement à la moitié de la première saison et les coffrets des saisons 2, 3 et 4 sont déjà achetés - j'ai donc plus d'une soixantaine d'épisodes à visionner, ce qui devrait me prendre pas mal de temps et me garantir des effets "madeleine de Proust" irrésistibles. Revoir les premiers épisodes m'a instantanément replongé dans mon adolescence, au moment où il fallait la jouer fine pour pouvoir regarder les épisodes qui passaient alors sur M6 le jeudi soir en deuxième partie de soirée, contre vents et marées, en passant outre les vives protestations indignées de mes parents - qui, il faut bien le dire, se retrouvaient un peu décontenancés par cette "nouvelle connerie américaine" dont visiblement l'intérêt leur échappait.

La série a connu un succès phénoménal et très rapide (dès la deuxième saison) et n'a cessé de gagner en finesse d'écriture, en performances de seconds rôle inoubliables (la schyzophrène du cinquième épisode de la saison 4, Le pré où je suis mort, entre autres) et a finalement construit une mythologie complexe, à tiroirs, dans laquelle il est toujours bon de se perdre. Mais plus encore, elle a imposé,
dans l'inconscient collectif, deux personnages fascinants : Mulder et Scully. Deux agents du F.B.I. qui s'appellent à longueur d'épisodes par leur nom propre, au point que lorsque Scully se risque à un "Fox...", Mulder répond immédiatement : "Tu sais, même mes parents m'appelaient Mulder". Cette apparente distance rend d'autant plus précieux et révélateurs les rares moments dans lesquels les deux agents s'appellent par leur prénom, comme lorsque Mulder apprend la mort du père de Scully et murmure un "Dana" affectueux, quasi paternel, à la grande surprise de l'intéressée, qui ne l'avait encore jamais entendu prononcer son prénom. Leur relation est au centre de la série, et est une des explications de sa notoriété. Jamais auparavant une relation n'avait été traitée comme Chris Carter (créateur de la série) a décidé de le faire. Pas d'amourettes chiantissimes, de rabibochages geignards, non. Mulder et Scully tissent au fil des épisodes quelque chose qui dépasse tout ça, et de loin. Et tous ceux qui guettaient l'épisode dans lequel Mulder et Scully se mettraient ensemble n'avaient vraiment rien compris à l'esprit de la série. Ils sont ensemble à leur manière, et dès le début. Mais je m'égare là.

Scully, d'abord. Médecin, cartésienne, et pourtant croyante. Ce conflit intérieur est amplifié par sa volonté de donner une raison scientifique et logique à tous les phénomènes paranormaux auxquels elle assiste avec Mulder. Difficile de se retrouver dans la posture de la scientifique qui met en doute toutes les théories de Mulder alors qu'on a une croix qui pend autour du cou. Ce personnage est bien plus complexe qu'il n'y paraît et contrairement à la majeure partie des séries de l'époque, Scully ne sert pas de faire-valoir féminin. A la fois fragile, ébranlée jusque dans sa foi la plus profonde par les diverses enquêtes qu'elle mène, et forte, déterminée à ce que la vérité, quelle qu'elle soit, éclate, Scully est emportée par la quête de Mulder, et devient comme lui, sans vie sociale, totalement obsédée par son travail.


Mulder, maintenant. Peut-être bien LE héros de mon adolescence. Il est appliqué et brillant dans tout ce qu'il entreprend et pourtant il reste totalement en marge du système dans lequel il travaille. Relégué au sous-sol du F.B.I., dans un bureau exigu couvert de posters et de photos d'O.V.N.I., il a perdu toute crédibilité auprès de ses collègues. Quoi qu'il fasse, Mulder le fait avec classe. Parler d'O.V.N.I. avec des ados grunge visiblement barrés ne lui fait pas peur, pas plus qu'outre-passer le règlement et risquer sa place aux affaires non-classées. Il a un timing parfait pour sortir des vannes qui ont toujours quelque chose de désabusé, une sorte d'humour à froid, noir. Et, bien-sûr, il a connu un événement traumatisant - l'enlèvement de sa soeur Samantha alors qu'il n'avait que douze ans - qui est la clé de sa conduite et permet de mieux comprendre sa manière d'agir. Persuadé qu'elle a été enlevée par des extra-terrestres et que le gouvernement américain cache la vérité, Mulder est hanté par le souvenir de sa soeur et par son impuissance d'enfant et d'adulte à pouvoir la ramener. Le personnage, créé par Carter et désormais indissociable de son interprète David Duchovny, me fascine. Il fallait oser un tel personnage dans une série : pas de vie sociale, insomniaque, amateur de pornos (Scully lui balance dans la première saison un railleur : "la dernière fois que je t'ai vu si absorbé dans une lecture, c'était un magazine pour adulte"), on ne lui connaît pas vraiment d'amis et il ne parle que de son boulot, qui consiste tout de même à courir après une vérité qui se dérobe sans cesse et qui bouscule la rationnalité et à de quoi rendre marteau même le type le plus équilibré du monde - ce qui est loin d'être la cas de Mulder. Bref, pas de quoi, à priori, attirer les foules, et pourtant je ne pense pas, vu le succès de la série, être le seul type au monde que le cas Mulder passionne.

Ah oui, un dernier conseil de la part de Mulder : ne faites confiance à personne. (à part si c'est Scully) ndlr.

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18 janvier 2007 4 18 /01 /janvier /2007 18:53


Tricky. Beaucoup de sentiments et d'émotions se rattachent pour moi à ce nom. Je me rappelle très nettement dans quelles conditions j'ai acheté ses deux albums, ses premiers en solo. Une époque légèrement différente de maintenant, les amis. J'avais 16 ans et il était vraiment exceptionnel que je puisse acheter deux disques en même temps. Eh oui, pas de mp3, pas moyen de choper de la musique aussi facilement qu'aujourd'hui, et pas l'ombre d'un disquaire à moins de 50  km de chez moi. Quand on a 16 ans, ça fait pas mal d'obstacles, qui s'avèrent difficilement franchissables. Chaque occasion d'acheter des disques était donc rare et précieuse. La quête du saint Graal. Le trajet aller dans la ville d'à côté, je le passais à gamberger, à me dire "bon Dieu, quel disque je vais acheter ?" ; le trajet retour, je le passais à dévorer les notes de pochette, rongeant mon frein avant de pouvoir enfin m'en mettre plein les oreilles.

Ce jour-là, j'ai donc pu m'acheter non pas un, mais deux disques. Je n'avais jamais entendu la moindre note de la musique de Tricky, j'avais lu des papiers élogieux sur lui et j'étais parti de chez moi avec la ferme intention de me procurer ses deux albums.


Je les ai évidemment écoutés dans l'ordre chronologique. Maxinquaye en premier, donc. Premier choc. J'eu tout loisir de me plonger dans la riche pochette, constituée de montage photos et de paroles extraites de l'album durant le trajet retour, et le moins qu'on puisse dire c'est que la curiosité avait laissé place à une vraie impatience. Arriva enfin le moment où je mis le cd et l'écoutai. La claque. Pour moi qui n'écoutait que de la pop, du rock et du folk à l'époque, la musique de Tricky était sans égale, je n'avais aucun point de comparaison, rien à quoi me raccrocher. Ce qui faisait déjà de Maxinquaye un grand disque. N'est-ce pas ce qu'on recherche tous en musique ? Le disque qui bouscule les évidences, qui est profondément novateur ? Bien-sûr, les années passant, et après avoir écouté un bon paquet de disques, je me suis rendu compte que Tricky avait lui aussi ses influences, et que sa musique faisait écho à d'autres. Mais ça n'a rien retiré à la force de son Maxinquaye, album foisonnant, sombre, d'une richesse telle qu'il est inusable. Un labyrinthe dans lequel il est bon de se perdre. Une musique à la fois terriblement instinctive et cérébrale. Chaque morceau est drapé dans une ambiance différente, tantôt pesante, tantôt mystérieuse, tantôt furieuse. Tricky n'épargne pas l'auditeur, il le perd, il se joue de lui, il l'emmène où il veut.

Mais, il est difficile de parler de la musique de Tricky sans évoquer son alter ego, Martina Topley Bird, qui l'acompagne au chant sur presque tous les morceaux. Elle est sa respiration, sa muse, elle emmène encore plus loin sa musique et son timbre de voix se marie à merveille avec le sien, grave et éraillé.

Le premier morceau de Maxinquaye, Overcome, commence par une interrogation : "Are you sure you wanna be with me ? I've got nothing to give" "es-tu sûr de vouloir être avec moi ? Je n'ai rien à donner", mettant d'emblée à nu les failles et les doutes de Tricky (sur lui-même, sur la fragilité des relations qu'il peut avoir avec son entourage). Le travail sur la rythmique, comme sur tout le disque, est impressionnant et donne une dimension, une profondeur démente au morceau. Overcome enveloppe le disque d'une aura de mystère, d'une sorte de gaze impalpable, comme si Tricky nous parlait d'un endroit connu de lui-seul, inaccessible.

La rythmique bancale de Ponderosa fait entrer un peu de lumière, avant qu'un piano échappé d'un asile ne rentre et transforme ce morceau en une sorte de danse macabre. Tout s'accélère avec Black steel, plus organique que les deux précédents titres. Puis les titres s'enchaînent, pour construire une mosaïque de sons et de rythmes inédits. Un collage, jamais surchargé, de samples précis, avec une science de l'écriture ahurissante pour un premier effort solo.

Un titre comme You don't donne l'impression de se sentir écrasé par le soleil, un genre de soleil nucléaire, malsain. Sur ce morceau, on ne retrouve pas la voix de Martina mais celle, plus soul, plus profonde, de Ragga et ce diable de Tricky qui répète des "You don't you don't wanna even try" "tu ne veux même pas essayer". Feed me qui clôt le disque, glace le sang et nous renvoie à l'ambiance du morceau d'ouverture Overcome, la boucle est bouclée et Tricky s'en va, prêt à affronter ses démons, à les prendre à bras le corps, prêt à en découdre, déjà obnubilé par les sons de Pre millennium tension, l'album qui fera suite à Maxinquaye.


Pre-millennium tension, donc. Tricky décide de pousser encore plus avant les expériences entrevues sur Maxinquaye. Et sort un album monolithique, sombre, et vraiment flippant. On a parlé de suicide commercial quand il est sorti, un peu comme quand Lou Reed a enregistré Metal Machine Music. J'ai lu aussi que Tricky se mettait en danger, prenait des risques, ouvrait une nouvelle voie. Tout ça est plutôt vrai. Mais, si vous écoutez ce disque, vous vous rendrez rapidement compte que c'est
aussi vous qu'il met en danger. La musique n'est plus qu'une coulée de lave froide, les paroles résonnent comme des mantras de possédés, répétées ad nauseam. La basse, omniprésente, structure les morceaux, impose sa rythmique, enchaîne uppercut sur uppercut. Cet album est un gouffre, à côté duquel Berlin de Lou Reed sonne comme de la pop naïve, tout juste acidulée. Seule la voix de Martina donne un peu d'air à l'ensemble.

On retrouve bien-sûr toujours les mêmes interrogations chez Tricky : "you and me what does that mean ? Forever, what does that mean ?" "Toi et moi, qu'est-ce que ça veut dire ? Pour toujours, qu'est-ce que ça veut dire ? ", mais la musique a pris un virage radical. L'atmosphère est suffocante, irrespirable, viciée. Une musique de paranoïaque. Une musique de terre brûlée. Personne ne peut désormais suivre Tricky sur ce terrain. On ne peut que l'écouter, à la fois terrorisé et fasciné par ces sons venus de nulle part qui prennent à la gorge, font naître des hallucinations, des sueurs froides, des vertiges. Et même lorsque la tension laisse place à une accalmie, le poison s'insinue encore et toujours, comme à l'écoute du glaçant She makes me wanna die, dans lequel la voix de Martina joue à cache cache avec celle de Tricky, le tout soutenu seulement par une guitare et une batterie.

Il y aurait tellement à dire sur ce disque. Mais le plus important est de préciser qu'on ne peut pas en sortir indemne, et qu'il ne laisse pas indifférent. On peut le détester ou l'adorer, on peut le trouver malsain, glauque, ou passionnant, on ne peut y entendre qu'une bouillie infâme ou le trouver d'une beauté vertigineuse. Profondément humain, Tricky se tient là, intègre, et avec Pre millennium tension, il signe une oeuvre sans concessions, d'une honnêteté hors du commun. Une oeuvre de possédé.

Presque dix ans plus tard, ces deux disques n'ont pas pris une ride et ont gardé intact leur pouvoir de fascination. J'ai perdu de vue Tricky après ces deux albums. Il est allé si vite et si loin dès le début... Je ne sais pas où il en est actuellement. Mais c'est un génie, et il sortira d'autres chefs-d'oeuvre, j'en suis persuadé. En attendant, je vais me replonger dans ses albums fabuleux, histoire de me perdre un peu plus.
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11 janvier 2007 4 11 /01 /janvier /2007 16:03

" Appelons-moi Ismahel. Il y a quelque temps - le nombre exact des années n'a aucune importance -, n'ayant que peu ou point d'argent en poche, et rien qui me retînt spécialement à terre, l'idée me vint et l'envie me prit de naviguer quelque peu et de m'en aller visitant les étendues marines de ce monde."

Herman Melville, Moby Dick

Rogue's gallery est un double-album qui est sorti il y a quelques temps chez Anti - un excellent label, qui soigne les pochettes, et qui a signé bon nombre de musiciens passionnants, Tom Waits, Tricky, et Nick Cave en tête. Ce recueil de ballades de pirates, de chansons de la mer et de Chanteys, sorte de chants de travail scandé par les marins pour garder le rythme tout au long de la journée, a été initié par Johnny Depp, qui en a eu l'idée sur le tournage de Pirates des Caraïbes. Le projet était donc simple : réunir des musiciens, leur proposer un certain nombre de morceaux de pirates, les laisser choisir, répéter et enregistrer dans la foulée. Ont répondu présents un bon paquet d'artistes, célèbres (Bono, Sting) ou plus confidentiels (Rufus Wainwright, son père Loudon, Nick Cave, Joseph Arthur). L'aventure de l'enregistrement est racontée par Hal Wilner, le producteur, dans les notes de pochette du disque. Tout s'est fait au débotté, certains des musiciens jouant sur l'album n'étaient même pas au courant du projet la veille : "allo, Nick Cave ?  Dis voir t'es en ville en ce moment ? Chanter des chansons de pirates ça te dit ?" Le résultat est vraiment intéressant et contrairement à bon nombre de compilations, l'ensemble est assez homogène. Les enregistrements ont été rapides, détendus et les égos parfois surdimensionnés ont visiblement été priés de rester au vestiaire.

L'ambiance est donc au rhum, aux envies de prendre la mer, aux bouges des ports, aux histoires sordides ou amusantes, aux vociférations de pirates. Quarante-trois titres et beaucoup de perles : le Fire down below (expression imagée pour parler... d'une bonne chtouille) que s'approprie Nick Cave est vraiment dans le ton (avec des Hey ah hi ha hooo qui ponctuent chaque refrain), Loudon Wainwright III, nous gratifie d'une splendide ballade : Turkish revelry, Bill Frisell (dont je n'ai jamais entendu parler) joue un instrumental à la guitare qui me rappelle le magnifique album de reprises de standards de la pop chinoise de Gary Lucas, un morceau délicat, fin, et qui étrangement, a toute sa place dans cet album. Eh oui, on a beau être un pirate, on a le droit de rêver sous les étoiles, la tête embrumée par le rhum et de se laisser griser par la mélancolie, à l'image du pirate sur la pochette (une peinture de Howard Pyle).

Et puis c'est toujours un bonheur de retrouver Lou Reed, ou encore Rufus Wainwright aux détours de morceaux, de reconnaître des timbres de voix familiers, de se dire que ça a dû être une belle partie de plaisir pour eux en studio à jouer aux pirates comme quand ils étaient gosses.

Apparemment, Hal Willner en aurait encore sous le coude, de quoi remplir un autre double album (il aura quand même retrouvé près de 400 morceaux du répertoire des pirates et des marins). Alors, à quand la suite Captain Jack, vieux pirate ?
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4 janvier 2007 4 04 /01 /janvier /2007 15:40

Levez-la main droite et dites "je le jure !". Combien de réveillons avez-vous passé à regarder dans votre assiette en priant pour que le DJ ne vous choisisse pas vous pour démarrer la chenille ? Combien de fois avez-vous passé le cap de la nouvelle année avec, bien à fond, vous martelant les oreilles, ce putain de Petit bonhomme en mousse ? Héhé, pas de pot les amis. Je fais le malin, mais ça m'est arrivé aussi. Heureusement, cette année, la Saint Sylvestre a été totalement classe et rock n' roll. Avec un ipod gavé de bons disques, et un petit malin (votre serviteur) qui s'éclipsait de temps en temps pour mettre le dernier-truc-qui-tue-et-qu'il faut-absolument-que-t'écoutes. Eh oui, à minuit au lieu de Cloclo ou de I will survive, on s'est écouté les Twilight Singers. Qui dit mieux ?

Apparemment, cinq millions de Français auraient un problème avec l'alcool. Quand on y réfléchit un peu, ça donne une société d'alcoolos. Et à la Saint Sylvestre, on explose tout, à en foutre les boules aux Irlandais. Chacun y va de sa petite cuite ce soir-là, alors qu'on ne me jette pas la première pierre, hein ! J'ai quand même pas fini à dégobiller dans le caniveau. Non, loin de là, même. Tout en classe rock n' roll. Enfin en rock n' roll.

Tout a commencé tranquillement, comme tous les soirs de la Saint Sylvestre, on attend minuit en jetant des coups d'oeil à la montre, en sirotant une flûte de soupe de champagne et en mangeant des trucs qu'on mange qu'une fois dans l'année. Et puis, minuit arrive, on s'embrasse tous, et on file chez les parents du Bill juste à côté histoire de brailler des BONNE ANNEE et de se faire payer une coupe (comme si on en avait pas suffisamment de notre côté). Après une tentative de vol commise par votre serviteur (le coffret intégral de Brel) qui aura tournée court
(ce qui me fait penser qu'un de ces quatre, j'irai de mon petit post sur le grand Jacques), on repart illico presto terminer la soirée.

Sévèrement attaqué à la soupe de champagne, au champagne tout court, au Gewurztraminer, au vin rouge et au vin chaud, j'entends Damage du Blues Explosion, feins la surprise alors que c'est moi qui ai mis le disque, et je me mets à tourner autour de la table en gueulant un sacré discours, une philosophie de vie, un truc qui vous remue quand vous l'entendez, qui remet les compteurs à zéro, qui laisse à penser : des YEAH YEAH YEAH YEAH BLUUUUUUUUUUUUUUUES EXPLOSION !

Vers 5h du mat', il ne reste que quelques têtes brulées, et commence alors une joute oratoire sur les mérites des groupes rock de l'année. Je me lance dans mon numéro de Lester Bangs aviné (Lester Bangs, un type dont je vous parlerai bientôt les amis, ou plutôt kids, comme dirait Mister Bangs) en taclant méchamment les Arctic Monkeys avec des arguments solidement ancrés dans la mauvaise foi mais merde, il est 5h du mat' et la subjectivité a tous ses droits, non ? Bien-sûr, quasiment aucun de mes arguments n'étaient recevables ("ils ont des têtes d'engliches comme c'est pas permis, le bassiste est un gros lourdaud qui sue sur scène parce qu'il est trop con pour retirer son duffle coat", ce genre), donc attention, ne faites ce numéro qu'avec des potes compréhensifs, qui vous pardonneront dans la seconde parce qu'ils se disent qu'  "il-est-con-pédant-chiant-mais-qu'est-ce-qu'on-peut-y-faire-c'est-un-ami".

"Mais il est tard, Monsieur", comme dirait le grand Jacques. Finalement, tout le monde va se coucher, on rentre à pied tranquille sous la pleine lune, en se disant que non, 2007 nous aura pas, trois petits points.
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28 décembre 2006 4 28 /12 /décembre /2006 11:08
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Rapidement je pris conscience du nombre de kilomètres que j'allais me taper chaque jour, ce qui ne me posait aucun problème. Au début, tout valait mieux pour moi que charger les camions. Un diable dans les mains, j'allais tranquillement chercher les canapés, fauteuils et méridiennes qui attendaient gentiment sous une couche de poussière dans leurs casiers. Les journées étaient rythmées par les rencontres au beau milieu des allées, et il fallait déployer des trésors d'imagination pour trouver toujours un moyen de se saluer ou de se vanner différent, même si ça faisait quinze fois que vous croisiez le même gars dans la journée.

Les longues matinées et les longs après-midis défilaient, invariablement, avec leurs cortèges de camions, de blagues douteuses, d'histoires à dormir debout, et de légendes qui forgent une réputation - du genre : tel type se serait envoyé en l'air avec telle nana de la boîte, bien planqué dans un casier, ce qui est une manière comme une autre de tester la marchandise (je parle des canapés, pas de la donzelle). Mais mes souvenirs s'estompent avec le temps, je mélange les années, les matinées et les après-midis. Tout juste si je me souviens avoir commencé par un après-midi de juillet - et encore n'était-ce pas plutôt fin juin ? et de quelle année ? Sur les cinq étés passés là-bas, seuls restent les ambiances, les gens, des flashs - comme cette mini-tempête qui a soulevé et fait s'engouffrer sur les quais et dans les allées des nuages de poussière, nous obligeant à nous planquer pour attendre que ça passe - et certains repères temporels  - parlez-moi de la canicule et me revoilà instantanément à préparer les commandes des couettes dans une mezzanine sous les tôles par plus de 50 degrés.

Plus précis sont mes souvenirs des types que j'ai croisés, chauffeurs, petits chefs, vieux de la vieille, nouveau-nés avec le lait qui leur coule des oreilles, Portugais, Malgaches, Turcs, Algériens, Marocains, une vraie tour de Babel cette usine. De quoi alimenter de nombreuses conversations pendant les pauses. Je me revois essayer de faire chanter à un ami Turc une chanson en français dont le nom m'échappe et apprendre en retour quelques politesses dans sa langue maternelle - j'ai oublié depuis mais fut un temps où j'aurais pu copieusement insulter un Turc en m'en prenant à sa mère (qui n'aurait pourtant rien demandé). Ce gars-là avait été taxi à Istanbul et avait pour principale distraction de rouler à 40 à l'heure dans une vieille merco le dimanche après-midi. Toujours survolté, de bonne humeur, il faisait résonner dans tout le bâtiment des "Monsieur le Directeur" puissants, moqueurs, et franchement marrants. Jamais l'expression "fort comme un turc" n'aura eu plus de pertinence qu'avec lui. Il en jouait d'ailleurs. Je crois me souvenir qu'il s'amusait à me porter comme un canapé. "Hey, chauffeur, il va où ce camion ? Marseille ? Hey Monsieur le Directeur, ça te va Marseille ? Je te charge avec les canaps ni vu ni connu" "Petit, tu sais ce qu'on dit ? Fort comme un turc !" Il remplissait les camions comme vous iriez pisser. Une simple formalité. Où en est-il maintenant ? Est-ce qu'il roule à 40 à l'heure à Istanbul, au volant d'un taxi ?

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20 décembre 2006 3 20 /12 /décembre /2006 18:53

Combien de fois vous êtes-vous attardé dans une salle obscure jusqu'à la toute fin du générique pour avoir une chance d'apercevoir le nom d'un artiste ou le titre d'un morceau que le réalisateur a choisi ?
Le cinéma est un vecteur de musique dément. J'ai pu ainsi découvrir énormément de musique, et notamment le magnifique Requiem de Gabriel Fauré, dans une salle obscure. Placé au début de La ligne rouge de Terrence Malick, In Paradisum, dernier mouvement du Requiem, venait illuminer les images des îles mélanésiennes. Je réentendai quelques jours plus tard ce même extrait, chanté à l'école de musique de ma ville. Le déclic se produisit rapidement, les connexions furent rapides - j'ai entendu cette merveille récemment, mais où bon Dieu ? J'y suis ! Terrence malick ! Un simple coup d'oeil au programme que je tenais dans les mains, et le nom de Fauré ainsi que le titre de l'oeuvre m'apparaissaient. Trouver un enregistrement de ce fameux Requiem ne fut qu'un jeu d'enfant puisqu'il était dans la discothèque de mes parents.

Cela faisait de longs mois que je n'avais pas réécouté cette oeuvre, et c'est en mettant la B.O. du dernier film de Jim Jarmusch que ce Requiem s'est rappelé à mon bon souvenir. Je sais ce que vous devez vous dire. Une messe des morts pour Noël, c'est pas l'idéal. Pourtant ce Requiem n'a rien de morbide, au contraire. Bien-sûr les tonalités sombres, pesantes du Introït et Kirie et de l'Offertoire peuvent refroidir au premier abord, mais le Requiem ne cesse de gagner en lumière, mouvement après mouvement. Les morceaux sont plus courts, et leur construction annonce la pop (non, je ne délire pas). Sanctus, avec ses choeurs et ses cuivres puissants et sa fin apaisée est un des sommets de ce chef-d'oeuvre. Puis vient le Pie Jesu qui me ferait chialer comme le plus pur Johnny Cash. Archi connu, utilisé à tort et à travers - genre pour vanter les mérites d'un scooter -, parfois utilisé intelligemment - par Jarmusch dans son dernier film -, ce morceau est un moment suspendu, hors du temps, qu'il est impossible de ne pas écouter religieusement.

Les notes élégiaques et la pureté des voix du In Paradisum qui clôt ce Requiem donnent un avant-goût du Paradis, et permettent d'envisager
la mort, pendant les trois minutes que dure ce morceau, sans en être effrayé.

Mais c'est encore Fauré lui-même qui parle le mieux de son Requiem : "Mon Requiem... on a dit qu'il n'exprimait pas l'effroi de la mort, quelqu'un l'a appelé une berceuse de la mort. Mais c'est ainsi que je sens la mort, comme une délivrance heureuse, une aspiration au bonheur d'au-delà, plutôt que comme un passage douloureux."
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15 décembre 2006 5 15 /12 /décembre /2006 10:45

"Hello I'm Johnny Cash."

La première fois que j'ai entendu ces mots, je ne me doutais pas que ça changerait ma vie. J'avais vaguement entendu parler de ce type. Ce qu'il en resortait : discographie monumentale, plusieurs périodes alternant hauts et bas, de quoi se perdre donc. Comme avec tous les grands, difficile de se lancer tant la tâche paraît ardue : par où commencer, où chercher, quels disques éviter ? Eh bien, les amis, j'ai eu une veine du tonnerre avec Monsieur Cash, mon personal Jesus. Je suis tombé sur le Live at Folsom, dont les murs doivent encore résonner de son fameux
Hello I'm Johnny Cash et de tous les morceaux qu'il a joués pendant ce concert devenu mythique. Et surtout je suis tombé sur les American recordings, les quatre disques qu'il a enregistrés avec Rick Rubin au beau milieu des années 90, après une longue traversée du désert, soit ce que l'homme en noir a fait de plus bouleversant.

Le premier morceau que j'ai entendu de lui est donc Folsom Prison Blues, lancé à 200 à l'heure devant des détenus fous-furieux. Il faut l'entendre pour le croire ! "I shot a man in Reno, just to watch him die" "j'ai buté un mec à reno, juste pour le voir mourir". Les taulards deviennent dingues, pourtant on est à la fin des années 60, et la country n'est pas vraiment leur tasse de thé, mais ils reconnaissent en Cash un frère, et le concert, enregistré pour Columbia, relance sa carrière. Un second concert à San Quentin sera même immortalisé. Pour décrire le son de Johnny Cash, rien de mieux que les mots de June Carter, sa muse : "régulier comme un train, aiguisé comme un rasoir". Le fameux "chicka boom, chicka boom" métronomique. Un truc à devenir dingue. Depuis, je suis possédé par sa musique. Cocaïne blues me fout vraiment la tête à l'envers. Il faut entendre la voix profonde de Cash chanter cette histoire sordide d'un type cocaïné qui bute sa copine et finit à Folsom par dessus les hurlements des détenus. Frissons garantis.

Tout le disque repose sur cette ambiance qu'aucun autre live classique ne peut posséder, une ambiance électrique, dangereuse, presque malsaine. Les matons qui devaient se chier dessus à se dire "pourvu qu'il arrête rapidement ses conneries sinon ça va déraper" et Cash qui en rajoute : "vous buvez cette eau ?" "Folsom, je te maudis, tu as ruiné ma vie". Et il ramène June Carter, qui ne se démonte pas devant ces gars qui n'ont pas vu de femmes depuis Dieu sait quand, et qui fait son numéro habituel de fille marrante, grande gueule. Et ils se mettent à chanter Jackson "We got married in the fever"  et toujours ce chicka boom diabolique, obsédant. Sur Dark as the dungeon, Cash se marre en plein milieu du morceau, annonce que le concert est enregistré et les détenus se mettent à hurler de plus en plus fort, à chaque fin de phrase.

Le plus fort dans ce concert, c'est que Cash ne misera pas que sur des morceaux rapides, mais aura le cran de baisser la lumière, de s'asseoir et de chanter des ballades magnifiques, qui prennent aux tripes et fendent le coeur des gros durs de Folsom. Send a picture of mother, Give my love to Rose, des chansons de pauvres types, loins de chez eux. Le silence des taulards est impressionnant pendant qu'il les chante. On les imagine ruminer et ravaler des larmes amères en baissant la tête.

Le Live at Folsom m'a donc mis à genoux. Mais le mieux, avec Cash, c'est que c'est à la fin de sa vie qu'il a sorti ses meilleurs disques - la série des American recordings sous la houlette de Rick Rubin - ce qui est assez rare pour être souligné. De 94 à sa mort en 2003, l'homme en noir ne cessera d'enregistrer des disques beaux à pleurer, laissant cinq albums dans la série American, et un coffret - Cash Unearthed (quatre disques inédits). En espérant que Rick Rubin en a encore sous le coude. Sur ces derniers enregistrements, Cash, qui n'a plus rien à prouver, chante simplement, accompagné de sa guitare, sans fioritures, des morceaux bouleversants (des reprises qu'il s'approprie, des morceaux à lui, des traditionnels). Ses disques sont des trésors, il suffit d'écouter sa version de Danny Boy, qu'il chante accompagné d'un orgue, pour s'en convaincre.

Allez comme c'est Noël, cadeau les amis ! En cliquant ,  vous tomberez sur le clip de Hurt un morceau de Nine Inch Nails, magnifié par Johnny Cash et sorti sur son dernier album (de son vivant) American IV The man comes around.

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8 décembre 2006 5 08 /12 /décembre /2006 20:54

Depuis quelques temps, Chan Marshall ne se fait plus accompagner par le Memphis Rythm Band, mais par un groupe réduit à quatre, un clavier, une basse, une batterie et le grand Judah Bauer. Les Transmuscicales n'ont pas laissé passer l'occasion de réunir à nouveau ce groupe.C'était donc avec une grande impatience que j'attendais ce rendez-vous marquant la rencontre musicale entre un guitarise génial - Judah Bauer - et l'exceptionnelle Chan Marshall - alias Cat Power. L'attente ne fut pas vaine.

Les couleurs soul que donnait le Memphis Rythm Band à la musique de l'américaine ont laissé place à un blues du diable, mené de main de maître par un Judah Bauer au sommet de son art. Il était tout simplement incroyable hier soir. Le groupe dégotté par la belle n'était pas en reste. Le claviériste - un type immense, qu'on croirait sorti tout droit des Cure, et qui m'a bien fait marrer quand les roadies installaient le matos (il a passé son temps à se foutre de la gueule d'un Dj pathétique en ayant l'air de se dire : "mais sur quelle planète je vis là ?") - a installé, dès son entrée sur scène, une photo de Dylan sur son piano. Le concert commençait donc sous de bons auspices.

La set-list a fait la part belle aux relectures des morceaux de The Greatest, puis il y a eu une reprise fantastique du Satisfaction  des Stones. Seul bémol, la salle ne se prêtait pas du tout à la musique délivré par le groupe - un hangar. Bordel : un hangar ! Pourquoi reléguer la musique en périphérie, dans des hangars ? J'aurais rêvé voir ce concert dans un petit bar enfumé (tant qu'il y en a encore) et pas dans cet entrepôt.

Mais revenons à l'essentiel, la musique. J'ai eu l'impression de voir Dylan, de voir les Doors, de voir J.B. Lenoir, en tout cas j'ai vu des fantômes hier soir. Malgré les problèmes liés à la salle - Chan Marshall était quelque peu surprise de se retrouver dans un hangar et souhaitait que tout sonne plus brut - c'était divin. Impossible de résister : Judah Bauer a livré une prestation que je suis pas prêt d'oublier. Sans sourciller il dirigeait l'ensemble à la perfection, se faisant discret pour laisser la place à Chan Marshall, puis reprenant la main avec des riffs hallucinants, se mettant toute la salle dans sa poche. Comme à un concert du Blues Explosion, la sueur coule : "YEAH that's the sweat of the Blues Explosion" et je commence à taper du pied comme un dingue et à gueuler des Yeah ! Yeah ! Les musiciens prennent leur pied, ça se sent à des kilomètres.

A ce titre, le courant passe vraiment entre Judah et elle. Le truc c'est qu'elle a compris qu'elle était limitée comme musicienne (pas comme chanteuse) - ce qui a donné ce style intimiste bouleversant sur ses premiers enregistrements - et  qu'elle sait s'entourer en conséquence. Quand elle revisite la soul, elle prend le Memphis Rythm Band, et quand elle revisite le blues elle se dit : "autant demander au meilleur". C'est là que Judah Bauer rapplique. Les voir tous les deux sur scène est une chance. Elle n'aura pris qu'une seule fois sa guitare hier soir, oubliant même de passer sa lanière de guitare. Elle en jouera à genoux, le grand Judah la regardant - à genoux lui aussi - droit dans les yeux.

La musique populaire américaine, l'americana, la musique du sud profond, voilà ce qu'elle fait vivre, que ce soit avec le Memphis Rythm band ou avec Judah Bauer.
« Ce sont des ambiances du Sud où j'ai été élevée. Les histoires de mes ancêtres sur quatre générations, des petits Blancs pauvres et incultes, incapables de gravir l'échelle sociale, comme de souffler un peu : des vies difficiles.» Et quoi de mieux que le blues pour oublier tout ça ?
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