« Au commencement de tout, juste après la grande guerre entre
le ciel et l'enfer, Dieu créa la terre.
Il la confia à ces grands singes doués de raison qu'il appelait les hommes.
A chaque nouvelle génération naquit un être de lumière et une créature des ténèbres.
Il y eut de terrifiants combats.
De grandes armées s'affrontèrent dans cette guerre ancestrale entre le bien et le mal.
Il y avait de la magie alors, de la noblesse.
Et une inimaginable cruauté.
Oui c'était ainsi.
Jusqu'au jour où un faux soleil explosa dans l'univers.
L'homme échangea pour toujours l'émerveillement contre la raison. »
Samson, prologue de Carnivàle.
A l'heure où les séries triomphent (après avoir atteint pour certaines le niveau de véritables petits films - décor, scénario, etc.) et où on a tendance à nous faire passer des vessies pour des lanternes (genre Les experts) c'est désormais évident : il n'y a pas de justice en ce bas-monde. Car de toutes les nouvelles séries qui ont vu le jour récemment (Six feet under, Deadwood, Les Sopranos), Carnivàle est certainement celle qui est passée la plus inaperçue, alors que, paradoxalement, c'est sans doute une des plus originales.
Créée par Daniel Knauf, cette série, produite par HBO, chaîne de télévision américaine qui a une programmation exigeante, a pour cadre une foire itinérante, dans les années 30 aux Etats-Unis, peuplée de diseuses de bonne aventure, d'homme-lézard, de femmes à barbes, de strip-teaseues, de géants, etc. Se côtoient donc des freaks, des arnaqueurs sympathiques, des repris de justice, et des gens possédant un vrai don. Le tout dirigé par le management, qu'on ne voit jamais dans la série (au moins dans la première saison), qui donne ses directives depuis sa roulotte à quelques personnes seulement, et qui semble avoir une emprise puissante sur toute la troupe (bien que certains commencent à douter de son existence).
Avant tout, Carnivàle capte une ambiance, en prenant son temps (deux saisons de douze épisodes, pour un format de 55 minutes), ce qui permet de s'immerger littéralement dans la vie de ces forains, et dans les Etats-Unis de la grande dépression. La force de cette série réside dans la cohérence que Daniel Knauf lui a donnée (aidé en cela par des scénaristes talentueux). Ici, il ne s'agit pas de développer une histoire au gré des courbes d'audimat, ni de naviguer à vue, non. Knauf a tout imaginé dès le départ. Mêlant thèmes bibliques et surnaturel, regards sur une époque (la grande dépression, les montées des nationalismes sur les cendres de la Première guerre mondiale) et sur un microcosme (les forains de la caravane), la série installe un climat sombre, où sourd une menace - ce fameux "soleil" du prologue (un soleil nucléaire) - et où le temps semble compté. Le plus intéressant c'est que ce contre-la-montre est filmé lentement, sans effets qui viendraient surligner l'imminence du dénouement (style 24 heures chrono par exemple). D'ailleurs, les forains, ignorant ce qui se trame en silence, vaquent d'épisode en épisode à leurs occupations habituelles (aller de villes en villes, essayer de se maintenir à flot financièrement, garder un esprit de groupe, veiller aux traditions foraines).
C'est cet univers de la foire, plus encore que les manifestations surnaturelles, qui sont au coeur de la première saison. En près de douze heures (durée approximative de chaque saison), on a le temps de déambuler dans les coins et recoins de la caravane, de comprendre les psychologies complexes des personnages, et de s'attacher à bon nombre d'entre eux. A commencer par Samson, campé par Michael J. Anderson, acteur fétiche de Lynch. Après avoir été nain de foire "Samson le magnifique" devient le gérant, relai entre les forains et le management. Fin connaisseur de toutes les ficelles du métier, charmeur à ses heures perdues, capable de se faire respecter par des gros bras malgré sa taille, Samson est un des personnages les plus attachants de la série.
Il y a aussi Sophie, fille paumée, qui entend la voix de sa mère, alors que celle-ci est plongée dans une sorte de coma, et est paralysée. Elle présente d'ailleurs d'étranges facultés, la capacité de voir certaines choses.
Il y a surtout Ben Hawkins, à la dérive, récupéré par la caravane dès le début de la série. C'est son parcours que l'on va suivre, parcours qui s'apparente à une quête identitaire, initiatique (le jeune homme semble avoir des pouvoirs qu'il devra accepter et apprendre à maîtriser).
Et nombre de personnages secondaires prennent toute leur dimension grâce aux dialogues, et aux scénarios.
Difficile de décrire cette série sans être emphatique : tout est dément, acteurs, histoires, décors, mise en scène, dialogues, absolument tout. J'ai regardé l'intégralité de la saison 1, et commencé la deuxième saison, qui sera aussi la dernière, malheureusement (HBO a dû perdre du fric dans l'affaire, ou ne pas en gagner assez faute de téléspectateurs). Apparemment la série aurait dû compter six saisons, (trois parties de deux saisons chacunes). Je n'aurais donc pu voir que le premier volet d'une trilogie. Et vu le niveau, il y a de quoi avoir des regrets...